Ce qui nous tient debout

Ode aux amitiés vitales, la création Sans quoi nous crèverons de la Compagnie Virginie Brunelle s’arrête au Grand Théâtre en octobre 2025.
Charnelle, poignante, tour à tour grinçante et tendre, la danse de la Québécoise Virginie Brunelle se nourrit de questionnements liant l’intime au collectif. Celui à l’origine de Sans quoi nous crèverons est né à la suite d’un grand épuisement.
Diriger une compagnie de danse à travers une pandémie et les aléas du financement public draine de précieuses ressources. « J’avais un peu perdu la fougue et le bonheur de mon travail de création. Et à quoi ça sert si ce n’est plus là ? », raconte la chorégraphe. De cette fatigue s’est cristallisée une question : qu’est-ce qui nous tient debout ? La réponse, pour elle, est dans la force des liens qui nous unissent.
S’il claque comme un avertissement, le titre de ce spectacle contient aussi une part de lumière. « Il y en a eu un autre, Le dernier acte, plus fataliste. Dans Sans quoi nous crèverons, il y a encore un espoir qu’on peut être bien, trouver un équilibre dans nos vies. »
Crééer à rebours du monde
S’extraire du rythme effréné de la société, se préserver de la manière dont le travail gruge nos identités et s’immisce dans tous les aspects de nos vies demandent des efforts soutenus.
« Je crois que j’ai réussi à me déprogrammer, même si c’est encore un effort quotidien », note Virginie Brunelle. « Les liens sociaux, la force de l’union, me permettent de m’ancrer dans le moment présent. J’avais envie de rendre hommage aux gens qui nous entourent, qui nous soutiennent, qui ne jugent pas. Et qui jouent un rôle essentiel. »
Les élans de communion qui infusent toute son œuvre chorégraphique deviennent, dans cette création, un mécanisme de défense. « Il faut résister ensemble à ces valeurs sociétales qui, souvent, ne nous correspondent pas vraiment », croit-elle.

Un dialogue chorégraphique et sonore
Accordant une grande importance à la musique, Virginie Brunelle a de nouveau collaboré avec le compositeur Laurier Rajotte. Celui-ci a déconstruit l’Adagio d’Albinoni (déjà une recomposition, ont-ils appris en cours de route), pour en faire un motif qui se déploie en différents tableaux.
« C’est essentiel pour nous qu’il y ait de vrais instruments orchestraux, violons, cuivres, même si ça se transforme du baroque en des sonorités plus électroniques », souligne la chorégraphe.
Au fil du processus, la composition musicale et la création chorégraphique ont évolué en miroir. « On se relance, on bâtit en juxtaposition, pour arrimer tout ça », note-t-elle. Cette valse a progressé jusqu’à créer une tension maîtrisée, une montée dramatique qui épouse les élans du corps.
Constructions corporelles
Dans la danse elle-même, très « brute », les portés abondent, les corps s’agrippent, se soutiennent, s’échafaudent, s’échappent, dans une série de « déboulements ». « C’est une pièce très physique. Comme je parle de connexion, j’ai beaucoup travaillé l’interrelation, explique Virginie Brunelle. Un geste en entraîne un autre, puis un autre… S’il manque une personne, ça s’effondre, ça ne fonctionne plus. Chacun est essentiel. »
Sur scène, les cinq interprètes de Sans quoi nous crèverons — Léa Boudreault, Sophie Breton, Alexandre Carlos, José Flores et Émile de Vasconcelos-Taillefer — forment une microsociété. Même immobiles, ils sont toujours visibles, comme témoins attentifs ou pour proposer un contrepoint à l’action centrale.
Le plateau devient un espace mental, un lieu symbolique dont il faut se libérer et où s’incarne notre besoin fondamental de l’autre.
Sublimer la douleur
Perceptibles dans les éclairages, les costumes et la densité émotionnelle, les inspirations baroques modulent Sans quoi nous crèverons. Pendant cette période artistique, « il y avait un désir de traverser l’ombre pour atteindre la lumière, d’habiter la douleur pour trouver la grâce », expose Virginie Brunelle.
Ces références esthétiques sont toutefois volontairement épurées. « On a voulu créer une pièce facile à tourner, à adapter, avec une scénographie légère. On a trouvé le moyen d’évoquer les immenses chandeliers baroques, mais de manière déconstruite, déstructurée. »
Le contraste se manifeste jusque dans la forme du spectacle, composé de deux actes. Le premier se joue dans les clairs-obscurs, la tension, l’apnée. Au deuxième, les corps s’ouvrent et s’élèvent, les mouvements s’harmonisent pour participer à un rituel collectif exutoire.

De Montréal à Stuttgart et Venise
Depuis 15 ans, la compagnie de Virginie Brunelle trace son sillon. Créant à Montréal des œuvres marquantes comme À la douleur que j’ai ou Les corps avalés (au Grand Théâtre de Québec en 2022), elle rayonne aussi à l’international.
La plus récente création de la compagnie, Fables, qui explore le combat des femmes, a été présentée à la Biennale de danse de Venise cet été. « C’était ma première pièce politique assumée, même si créer reste toujours politique », souligne la chorégraphe.
D’autres projets l’ont menée en Allemagne, entre autres avec Gauthier Dance, où elle apprend à aborder la création autrement. « Je suis encore en train d’apprivoiser tout ça. C’est exaltant, je fais des rencontres extraordinaires, mais j’investis beaucoup de moi-même et ce serait facile de retomber dans un chaos mental. Mon nouveau mantra, c’est une étape à la fois. »
Pour l’heure, une résidence technique lui a permis de polir les arrêtes de Sans quoi nous crèverons. Dénonçant un monde en hypertension et puisant dans le maelstrom de sentiments qu’il suscite chez elle, Virginie Brunelle cherche à nous faire réfléchir, mais surtout ressentir, l’érosion de nos qualités humaines et l’importance d’en prendre soin.
Le spectacle de danse Sans quoi nous crèverons de la Compagnie Virginie Brunelle sera présenté le lundi 20 octobre 2025 à 19 h 30 à la salle Octave-Crémazie.
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