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Photo : Sasha Onyshchenko

Avec Burn Baby, Burn, Côté Danse propose une fête incandescente pour les lendemains qui brûlent en novembre 2025 au Grand Théâtre de Québec.

Interprète acclamé ici comme à l’international, Guillaume Côté a été danseur principal du Ballet national du Canada pendant plus de 15 ans avant de fonder sa propre compagnie, Côté Danse, en 2021. Il est aussi directeur artistique du Festival des Arts de Saint-Sauveur depuis 2014.

Comme chorégraphe, il allie rigueur classique et audace contemporaine dans des œuvres hybrides, expressives et accessibles. La dernière en liste, Burn Baby, Burn, s’arrête au Grand Théâtre le 23 novembre. Il compare cette création, portée par neuf interprètes, à une disco enflammée dont l’apogée marquera les esprits.

L’étincelle du réchauffement climatique

Allumé par une conversation avec son fils sur les changements climatiques, Guillaume Côté a voulu capter cette tension entre conscience écologique et inertie humaine. Mais plutôt que de moraliser, il plonge dans la grisante chaleur du déni. « On n’est pas prêts à modifier nos habitudes. On tombe dans la danse de la vie, de la routine et dans toutes les belles distractions qui nous sont offertes », constate-t-il.

Le feu devient ici une métaphore à plusieurs branches : celle de l’étincelle qui prend, se propage, échappe au contrôle. Il peut réchauffer, séduire, galvaniser, mais aussi consumer, détruire. À l’image de notre rapport au monde, à la performance, à l’amour, à l’inaction.

GUILLAUME CÔTÉ -Crédit Matt-Barnes
Guillaume Côté - Crédits : Matt Barnes

Une structure inspirée du feu

Sur scène, la tension monte comme une flamme qu’on alimente. « La courbe dramatique ressemble à un feu de camp. Chaque fois qu’on ajoute un élément, ça s’embrase puis se résorbe. Jusqu’à ce que, dans la finale, il y ait vraiment une perte de contrôle, on s’allume complètement et le feu prend le dessus. »

La musique d’Amos Ben-Tal participe au caractère éclaté de la proposition de Côté Danse. « On s’est donné comme base que ce soit un peu dans le disco, mais Amos utilise aussi la guitare électrique, la batterie, l’électro. C’est très rock’n’roll, quasiment métal à certains moments… » Cette pulsation soutient une danse athlétique, technique, presque sportive : « Je voulais que ce soit un spectacle qui pousse mes danseurs à la limite, jusqu’à les brûler physiquement », souligne Guillaume Côté.

Collaborer avec Robert Lepage

Les œuvres multidisciplinaires jalonnent le parcours de Guillaume Côté et sont au cœur de la mission de sa compagnie. En 2018, il a collaboré avec l’homme de théâtre Robert Lepage et Ex Machina pour Frame by Frame, inspiré de l’univers du cinéaste Norman McLaren. Mêlant danse, projections, animation et musique, ce projet jetait les bases d’un dialogue fécond entre théâtre visuel et chorégraphie. Guillaume Côté a ensuite créé l’œuvre multimédia Crypto, qui a fait une tournée nationale, puis Touch, avec Thomas Payette, une œuvre multidisciplinaire immersive présentée 83 fois à guichets fermés à Toronto. Puis il a conçu les chorégraphies et interprété le rôle-titre de La tragédie de Hamlet, prince du Danemark, lors d’une nouvelle collaboration avec Ex Machina. Diffusée notamment au Théâtre Le Diamant au printemps 2025, cette relecture muette du classique shakespearien explorait les multiples facettes du prince tourmenté à travers des doubles corporels, des projections en direct et une scénographie mouvante.

Il en tire une leçon précieuse : l’amalgame est plus riche que la pureté. « Robert Lepage m’a vraiment fait comprendre que ce qui est intéressant, c’est la fusion des choses et pas nécessairement la perfection d’une seule chose », note-t-il.

Marier les portés et les chutes

Guillaume Côté ressort de l’aventure d’Hamlet avec un goût renouvelé pour les contrastes, les croisements esthétiques, et une liberté assumée qui éclate dans Burn Baby, Burn. Les gestes précis à l’unisson, les sauts et les portés sont tirés de son bagage classique, mais ils sont incarnés par des corps formés à d’autres écoles.

« Au début, quand je travaillais avec des danseurs contemporains, j’essayais toujours de rester dans leur vocabulaire, avec des mouvements un peu plus bas, vers le sol et des transitions beaucoup plus fluides, explique-t-il. Alors que dans le ballet, il y a beaucoup de structure, on utilise les corps pour créer des architectures. Ça m’a fait du bien de revenir à ça et de mixer les deux d’une façon que je n’avais jamais explorée. »

Au-delà des genres

Loin des clichés et archétypes du ballet, le chorégraphe explore une sensualité nouvelle, une puissance brute, une danse où les corps ne se conforment plus, mais s’expriment pleinement. « C’était magique de donner ces outils-là aux interprètes, mais de les laisser remixer et redéfinir complètement c’était quoi le ballet pour eux. On transforme une forme empreinte de fragilité, souvent posée sur un piédestal, en quelque chose d’agressif, de cru, de très assumé. »

Burn Baby, Burn défie aussi les conventions de genre. Les duos ne répondent à aucune hiérarchie traditionnelle : femme-femme, personne non binaire-femme, chacune portant ou tirant l’autre avec force ou délicatesse, selon l’élan. « Chaque personnage a vraiment un éventail de tous les côtés de l’humain. Dans leur manière de bouger, on ne sent jamais qu’il y a un masculin et un féminin », souligne le chorégraphe.

Katherine Semchuk et Willem Sadler - Crédit Sasha Onyshchenko
Crédits : Sasha Onyshchenko

Une ligne d’horizon lumineuse

Contrastes, palette monochrome, ligne mouvante : la scénographie fait surgir les danseurs du néant, comme des braises dans la nuit noire. Pour concevoir cet environnement visuel, Guillaume Côté souhaitait quelque chose de très simple. Avec le concepteur Simon Rossiter, il a opté pour un axe horizontal de lumières DEL à l’arrière-scène, que l’on peut faire monter, descendre, incliner, morceler ou teinter.

Ce choix technique permet de baigner la scène dans des univers chromatiques forts. L’effet est saisissant, sans jamais détourner l’attention du mouvement. Il évoque un monde où la fête tourne mal, et où les jets de confettis se transforment en pluie de cendres.

Danser jusqu’au bout de la nuit

Burn Baby, Burn, c’est le plaisir coupable d’une disco où l’on danse jusqu’à l’épuisement, grisé par ses illusions, pendant que le monde brûle. Une étincelle scénique faite pour embraser les consciences et susciter un éveil, en fin de course. « C’est le fun, dynamique, extrêmement physique, virtuose. Très accessible aussi », promet Guillaume Côté. Que ceux qui craignent les discours moralisateurs se rassurent : le chorégraphe prend le pari qu’il faut garder la flamme plutôt qu’éteindre l’espoir.

Burn Baby, Burn sera présenté à la Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre le dimanche 23 novembre 2025 à 19 h 30.

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