Photo de la chronique
Photo : Stéphane Bourgeois

Découvrez dans cette chronique comment la pandémie a affecté les artistes et le Grand Théâtre, devant le public mais aussi dans les coulisses. Cette période troublée a aussi été l’occasion de faire des apprentissages, de propulser de nouvelles collaborations et d’être créatif dans la présentation d’événements : on vous livre notre expérience!

Déjà, comme c’est le cas pour plusieurs domaines d’activités, la pandémie mondiale a marqué au fer rouge le secteur des arts de la scène qui s’est vu contraint d’annuler, reporter, reprogrammer ou adapter des spectacles et activités en continu depuis le 13 mars 2020.

Au Grand Théâtre, la situation a occasionné plusieurs mois d’inactivité devant public; un arrêt crève-cœur pour notre institution dont la raison d’être fondamentale est la diffusion de spectacles et la rencontre vivante entre les artistes, les spectateurs et les œuvres. Toutefois, durant ce temps suspendu, un travail soutenu s’est poursuivi afin que tous les éléments clés soient en place lorsque la présentation d’événements culturels serait de nouveau possible.

En effet, quoiqu’imprévisible, la réouverture des salles a toujours été dans la mire et l’équipe s’est affairée sans relâche à maintenir une relation de confiance avec le public, à supporter les artistes et à planifier une reprise permettant de retrouver l’expérience des arts vivants dans les meilleures conditions possibles et en toute sécurité.

Ces temps d’incertitude ont aussi été l’occasion de faire des apprentissages, de propulser de nouvelles collaborations et d’initier la présentation de spectacles dans des contextes différents. La webdiffusion, la création du parcours d’œuvres extérieures Les Promenades urbaines et l’aménagement de la scène de la salle Louis-Fréchette en formule cabaret en sont de bons exemples.

Visiteurs utilisant l'œuvre ARENA
La scène de la salle Louis-Fréchette en formule cabaret
Sentinelle sur la scène du Grand Théâtre
Œuvre ARENA présentée dans le cadre des PASSAGES INSOLITES et inscrite dans le parcours Les Promenades urbaines.

Photo : Stéphane Bourgeois

Aménagement de la scène Louis-Fréchette en formule cabaret.

Photo : Stéphane Bourgeois

La sentinelle veille sur notre scène durant la fermeture du Grand Théâtre de Québec.

Photo : Stéphane Bourgeois

Le Tétris de la programmation : Apprendre les nouvelles règles du jeu

Élaborer une programmation distinctive et audacieuse qui allie différentes disciplines et qui met en lumière autant de grands noms que d’artistes émergents est un exercice complexe.

Orchestrée en collaboration avec les agents, les producteurs et parfois directement avec certains artistes, en tenant compte évidemment de l’offre culturelle, de l’itinéraire de tournée des artistes et de la disponibilité même de nos salles, la mise sur pied d’une saison artistique s’organise souvent au moins un an, voire même dix-huit mois, en amont.

« Il faut nous positionner longtemps à l’avance pour accueillir, par exemple, des créations ou des artistes d’envergure qui ont de nombreux engagements au Québec et à l’étranger. Il n’est pas rare que la présentation d’un spectacle soit confirmée un an ou deux avant son passage au Grand Théâtre, bien qu’il me soit arrivé, même avant la pandémie, de confirmer un spectacle que 26 jours avant sa tenue ici », admet Michel Côté, directeur de la programmation.

Dans le contexte de la pandémie, les règles du jeu ont changé (plusieurs fois). Continuellement et à courte échéance, la programmation fluctue pour intégrer les reports de spectacles et de nouvelles propositions dans des créneaux qui eux aussi évoluent rapidement : calendrier des artistes en constante mutation, variation de la capacité des salles, équilibre artistique de la programmation à maintenir, capacité financière et humaine changeantes de part et d’autre… Un beau Tétris, quoi!

Toutefois, quand la rencontre entre les artistes et le public se fait enfin, on ne peut que ressentir le sentiment du devoir accompli.

« C’est un plaisir incroyable. La scène, c’est une de mes raisons de vivre […] ça m’a manqué terriblement. […] Comme on n’est vraiment pas sûr de l’avenir, je prends ça un jour à la fois et j’en profite. », disait Michel Rivard au Journal Le Nord lorsqu’il a repris la scène avec son spectacle L’origine de mes espèces après plusieurs mois d’interruption.

Battre la mesure

Les mesures sanitaires dans les salles de spectacles ont aussi beaucoup fluctué dans les derniers mois : changements de la capacité maximale, augmentation et diminution de la distance entre les sièges, variation des consignes entourant le port du masque, accueil des spectateurs par sections, restrictions quant aux entractes et services de bar et instauration du passeport vaccinal ne sont que quelques exemples des exigences auxquelles nos équipes doivent s’adapter.

Le fait que le Grand Théâtre ait été reconnu comme un exemple à suivre parmi les grandes salles de spectacle au Canada quant à la clarté et la conformité des mesures sanitaires mises en place témoigne aussi de la rigueur avec laquelle nos équipes se dévouent.

Ces changements ont d’ailleurs des effets directs sur le travail de chacun. Par exemple, les employés de billetterie travaillent d’arrache-pied à reconfigurer des plans de salles et rembourser les spectateurs lors d’annulation, les techniciens doivent procéder aux montages scéniques dans une valse qui respecte la distanciation physique tandis que le personnel d’accueil s’active à contrôler les passeports vaccinaux et tout en s’assurant d’une entrée en salle à temps pour le début du spectacle.

Pensons aussi aux ajustements improbables auxquels se buttent encore l’Orchestre symphonique de Québec et Le Trident dont les productions impliquent des dizaines de personnes en répétition et/ou en prestation, sans parler des invités internationaux momentanément interdits de voyage.

Expérimenter la diffusion en contexte de pandémie en appliquant rigoureusement les mesures sanitaires est, de toute évidence, un défi pour chacun. C’est touchant de voir comment tous se sont adaptés au mieux à la situation.

« Le contexte de spectacle a changé. C'est donc plus important que jamais d'établir un contact privilégié avec le public malgré les masques et la crainte. », confiait Patrice Michaud à L’avantage Gaspésien lorsqu’il a entamé la tournée de son nouveau spectacle Le grand voyage désorganisé l’automne dernier.

Préposé à l'accueil
Les mesures sanitaires ont changé notre façon de vous accueillir, et donc le travail de nos préposés à l'accueil.

Photo : Stéphane Bourgeois

Tenir la route

Outre les inquiétudes financières, la déception de voir des projets inachevés, la privation du public, la crainte face à l’inconnu et l’usure émotionnelle provoquée par les passages de l’espoir au désespoir, un autre facteur s’ajoute au manque causé par l’arrêt des tournées chez les artistes : le « road trip ».

En effet, ce huis-clos amical dans lequel ils se plongent lorsqu’ils prennent la route, avalant les kilomètres, appréciant les décors changeants et partageant des discussions animées autant que des silences : c’est aussi ça, le bonheur de la tournée.

Bien entendu, le plaisir ultime réside dans la performance devant les gens, là où l’émotion culmine, mais les retrouvailles avec les équipes des diffuseurs croisées année après année, les échanges fébriles dans le salon vert avant de monter sur scène, les petites bières froides partagées en fin de soirée avant de rentrer dans un autre hôtel impersonnel (ou pas), ça colore le quotidien. Quand soudain ça s’arrête, il y a un deuil à faire.

« Avant la tournée de l’automne 2020, les musiciens et moi, on avait pratiqué sans arrêt pendant une semaine, dit-il. On était sur un erre d’aller. Et là, boum, tout a arrêté pendant six mois. » témoignait Dumas au Journal de Montréal en mars dernier.

Dumas sur scène au Grand Théâtre
Dumas et ses compagnons de route sur la scène du Grand Théâtre, en juillet 2021.

Photo : Stéphane Bourgeois

Savoir se réinventer

Dans le milieu culturel, tous s’entendent pour dire que les fondements même du travail en arts de la scène consistent à innover, être créatif et se distinguer. C’est donc ce que beaucoup d’artistes, d’organismes et de diffuseurs ont fait de ces longs mois d’incertitude.

Certains ont profité de cette période pour déployer leur talent autrement. Par exemple, David Goudreault et Patrice Michaud, ont écrit des livres pour enfants; Mélanie Boulay (des Sœurs Boulay) et Mariana Mazza se sont consacré aux arts visuels tandis que Vincent Vallières, Ian Kelly puis Tire le coyote et Jeannot Bournival ont créé des albums intimistes.

Yannick De Martineau s’est, pour sa part, tourné vers la scénarisation de jeux vidéo alors que Damien Robitaille s’est lancé dans la production d’une chanson quotidienne partagée dans différents médias sociaux. Les humoristes Arnaud Soly et Matt Duff, quant à eux, ont investi le Web avec une pluie de capsules en tous genres.

D’autres, comme le comédien Sylvain Marcel ou le chanteur Serge Brideau du groupe Les Hôtesse d’Hilaire, ont décidé de suivre l’appel du gouvernement et de s’impliquer dans le milieu de la santé.

Du côté des organisations culturelles, elles ont déployé des trésors d’ingéniosité pour que des rencontres entre les artistes et le public demeurent possibles. Que ce soit par l’apprivoisement de tout l’univers de la webdiffusion, par l’organisation de prestations hors-les-murs, par la mise sur pied de projets multidisciplinaires dans des lieux inhabituels ou par la mise à profits de collaborations inattendues, chacune a réussi à faire briller les arts de multiples façons.

Au final, chacun à sa façon cherche à se sentir utile pour l’autre.

Livre pour enfants de David Goudreault

La face cachée du spectacle : Les artisans de la culture

Si plusieurs artistes ont continué à créer ou œuvrer de façon différente durant le confinement, plusieurs travailleurs culturels durement éprouvés ont malheureusement dû se tourner vers un nouvel emploi (temporaire ou permanent) devant les perspectives houleuses qu’ils avaient devant eux.

Les techniciens de scène, sonorisateurs, éclairagistes, manœuvres, les équipes de création, les musiciens pigistes, ouvreurs, placiers, préposés de billetterie et de bar ou les gérants de salles, par exemple, sont directement tributaires de la tenue des prestations.

Nul doute que leurs compétences spécifiques sont précieuses et que leur apport est essentiel à la vie culturelle.

« Socialement, on n’a pas les moyens de perdre l’expertise de tout un pan de spécialistes des arts de la scène qui sont, par ailleurs, passionnés de leur travail et du milieu dans lequel ils évoluent. Il faut tout tenter pour les rassurer et les appuyer dans cette épuisante traversée. C’est ensemble que nous créons la magie du spectacle. », soutient Gaétan Morency, président et directeur général du Grand Théâtre de Québec.

Droit devant

Au moment d’écrire ces lignes, nous nous apprêtons à rouvrir les salles en suivant les conditions actuelles prescrites par le gouvernement. L’engrenage se remet en route et nous sommes prêts à accueillir à nouveau les artistes et le public. Si nous ne savons toujours pas quand tout sera véritablement redevenu à la normale, une vérité inébranlable demeure coûte que coûte : agents, artistes, producteurs, diffuseurs, travailleurs culturels et spectateur sommes tous des alliés indispensables et complémentaires dans ce milieu fascinant que sont les arts vivants.

C’est la solidarité profonde entre chacun des maillons de cette formidable chaine qui nous permettra d’ouvrir grand nos bras, nos cœurs et nos portes quand cette pandémie sera (enfin!) dernière nous!

Xavier Rudd devant le public du Grand Théâtre
À 100% de capacité, la salle Louis-Fréchette offre une vue incroyable aux artistes (ici Xavier Rudd, en septembre 2019).

Photo : Daniel Smith

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