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Photo : L’artiste Philomène Longpré durant sa recherche pour la création de l’œuvre Envolée lyrique

Avec la création de son nouvel espace d’expositions d’œuvres en arts visuels numériques, le Grand Théâtre propose de vous faire découvrir la diversité des pratiques actuelles en arts numériques.

Ici, dans le contexte de ces chroniques, notre commissaire aux arts visuels numériques Ariane Plante, s’affairera à explorer et démystifier, de manière simple et souvent ludique, différents aspects de ces formes d’art pour vous les faire découvrir, connaître et comprendre. Votre expérience face aux œuvres que vous pourrez admirer lors de votre prochaine visite au Grand Théâtre n’en sera que bonifiée!

Introduction à l'art robotique



Quand la science-fiction se faufile dans le monde de l’art

Il n’y a pas si longtemps, la figure du robot appartenait encore à la science-fiction et à un futur improbable et lointain. La course au progrès et la fulgurance des avancées technologiques ont fait qu’aujourd’hui, les robots cohabitent avec nous au quotidien. Et le champ de l’art n’a pas échappé à cette infiltration. Mais que se cache-t-il derrière la perception romantique que nous avons de ces entités intelligentes? Et quelles applications le monde de l’art en fait-il?

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Les robots et la robotique : un peu d’histoire et quelques définitions d’usage

Alliage entre la science informatique et les ingénieries mécanique et électronique, la robotique est la branche de la recherche en technologie qui s’intéresse à la conception, au design, à la construction, au fonctionnement et à la programmation de machines automatiques et de robots. [1]

L'histoire de la robotique a débuté au XVIIIe siècle avec la Révolution industrielle et l’arrivée de l’automate. Alors que ce dernier obéit de manière mécanique ou électrique à un programme strictement préétabli, le robot, tel qu’on le connaît aujourd’hui, dispose quant à lui d'appareillages électroniques, de moteurs, de senseurs, de capteurs qui le rendent capable d'exécuter automatiquement une série complexe d'actions et d’interagir avec son environnement. À la différence de l'automate, ces caractéristiques le rendent autonome et "intelligent"! [2]

Dans l’imaginaire collectif, la figure du robot est couramment assimilée à la forme et à l’intelligence humaines. Pourtant, il en est souvent autrement et les robots ne s’incarnent pas systématiquement dans une esthétique ou une représentation figurative quelconque; ils peuvent être certes des machines électromécaniques, parfois aux allures humanoïdes, mais ils peuvent aussi être des dispositifs virtuels. [3]

Pour moi, la robotique se définirait comme l’art de doter des entités artificielles de vie et d’une forme « d’intelligence ». Elle confère aux machines ou aux systèmes la capacité de poser des gestes, de se comporter de manière précise, de bouger, d’interagir, d’analyser, de « réfléchir » même! La robotique permet en somme de calquer et même transcender des caractéristiques, une « sensibilité » et des comportements propres à l’humain, mais aussi à toutes autres formes vivantes. Je vous parlais de science-fiction? Il y a en effet là matière à fasciner!

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Et la robotique dans le monde de l’art?

L'art robotique est la spécialisation comprise dans les arts « qui utilise une forme ou un procédé de technologie automatisée »[4] pour créer l’œuvre. Il engage l’usage possible de l’électronique, de la mécanique, de la programmation, de capteurs, de senseurs, de microcontrôleurs ou de moteurs, pour animer le dispositif d’un comportement, d’une gestuelle et le doter d’une capacité à interagir avec son environnement de manière autonome.

Plusieurs artistes ont intégré des procédés robotiques à la création de leurs œuvres; ici, ils y questionnent l’impact de ces formes artificielles sur nos vies ou interrogent les relations humains-machines, et là, ils détournent les usages de l’ingénierie pour inventer leurs propres systèmes robotiques, leurs propres robots. Le potentiel créatif de la robotique est immense et les applications possibles, multiples : les œuvres issues de pratiques en robotique prennent par exemple la forme d’installations ou de performances, mais peuvent aussi être des avatars ou des environnements virtuels.

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Philomène Longpré : des expériences multisensorielles

En septembre 2021, le Grand Théâtre accueillera au Studio une œuvre installative intégrant des systèmes robotiques imaginée et réalisée par l’artiste montréalaise Philomène Longpré.[5] Depuis 1999, Philomène développe une pratique où elle marie habillement beaux-arts, anthropologie des sens et génies informatique et mécanique. Elle touche tant à l’art robotique, aux récits interactifs qu’à la performance, tout en explorant l’interactivité entre les mondes tangibles et virtuels.[6]

Dans son travail récent, la robotique, qu’elle combine à d’autres techniques, lui a permis de représenter des phénomènes dynamiques présents de la nature, comme l’éclosion d’une fleur rare (Cereus, Reine de la nuit) par exemple.[7] Par le biais de l’ingénierie et des systèmes automatisés qu’elle conçoit, elle crée ce que j’appellerais une « dramaturgie de la matière » qui rend compte du vivant, qu’elle évoque d’ailleurs aussi avec force par ses choix formels ainsi que par les comportements, le mouvement et la réactivité sensible qu’elle confère à ses œuvres.

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Photo : Philomène Longpré au travail dans son atelier

« L’art robotique nous surprend, nous répond, réagit, et transforme la matière. Pour moi, les moteurs, capteurs et microcontrôleurs (...) sont des outils que j’utilise comme on se servirait d'un crayon. Dans cette optique, la robotique me permet de métamorphoser des objets inertes et d’accroître l’expérience sensorielle du spectateur » - Philomène Longpré

Envolée lyrique, une ode technologique aux Grandes Oies des neiges et à leur migration

Au cours des dernières années, Philomène Longpré a étudié les Grandes Oies des neiges qui, chaque année, parcourent plus de 4 000 km au printemps et à l’automne, entre leur territoire de nidification et l’endroit où elles passent l’hiver. Elle a documenté leur migration et leurs formations en vol en se rendant à plusieurs de leurs aires de repos : du Cap-Tourmente au refuge Loess Bluffs National Wildlife au Missouri en passant par le Parc du réservoir Beaubet à Victoriaville, elle les a observées, filmées, photographiées puis enregistrées. Cette inspirante recherche a conduit Longpré à la réalisation d’Envolée Lyrique, une œuvre d’envergure, actuellement en cours de réalisation, qu’elle concevra spécifiquement pour l’espace d’exposition du Studio.

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Photo : « Lorsque les Grandes Oies des neiges couvrent entièrement le ciel, une métamorphose audiovisuelle d’une richesse texturale inexplicable se forme, se transforme : une envolée lyrique ». - Philomène Longpré

Combinant sculptures robotisées, projections vidéo et jeux de lumière, l’œuvre évoquera les oies, leur vol et leurs mouvements migratoires. Grâce aux systèmes électroniques automatisés méticuleusement conçus et fabriqués par l’artiste, l’ensemble réagira à l’environnement et aux déplacements des visiteurs qui se trouveront dans le lieu.

« Je cherche à créer un lien émotif et viscéral entre mes œuvres et les spectateurs, qui font partie intégrante de tous mes systèmes. L’ingénierie de la robotique renforce cette connexion ». - Philomène Longpré
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Photo : Circuits électroniques assemblés par l’artiste pour Envolée lyrique

Photo : Circuits électroniques assemblés par l’artiste pour Envolée lyrique

La sensibilité artistique et le savoir-faire de Philomène Longpré permettront aux spectateurs du Grand Théâtre de devenir à leur tour les observateurs privilégiés de ses oiseaux migrateurs hors du commun : ils pourront comtempler la volée robotisée depuis les différents points de vue que leur offre l’espace du Studio.

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L’enregistrement des cris des oies que l’on entend dans le dernier segment audio est issu des captations sonores d’un regroupement de 1.6 million d’oies faites par l’artiste lors de son passage au refuge Loess Bluffs National Wildlife au Missouri.


[1]https://en.wikipedia.org/wiki/Robotics (traduction libre) et https://fr.wikipedia.org/wiki/Robotique

[2]https://fr.wikipedia.org/wiki/Robotique

[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Robot (traduction libre)

[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Robotic_art

[5] Produite par le Grand Théâtre de Québec avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, l’œuvre devait être exposée en septembre 2020. En raison de la crise actuelle, l’exposition est reportée à l’automne 2021.

[6] Site de l’artiste : http:/philox.net/fr/bio_longpre/

[7] Je vous invite à visiter le site de l’artiste pour en apprendre davantage sur son travail fascinant : philox.net

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