Photo de la chronique

Avec Myokine, la chorégraphe québécoise Anne Plamondon signe une œuvre organique en clair-obscur que vous pourrez voir en décembre au Grand Théâtre.

La danse d’Anne Plamondon porte la trace d’un long chemin parcouru: celui d’une interprète devenue chorégraphe à la tête de sa propre compagnie. Son corps rompu à l’exigence est devenu le moteur d’une œuvre habitée par le besoin de sens. La créatrice d’exception revient au Grand Théâtre de Québec avec Myokine, première pièce de la compagnie Anne Plamondon Productions. Dans ce spectacle sur l’espoir et la résilience, le mouvement — et la parole, un ajout dans cette mouture — permet d’habiter ses failles et d’en ressortir plus fort.

De l’obéissance à la liberté

Formée à l’École supérieure de ballet du Québec, Anne Plamondon s’est d’abord illustrée dans des univers marqués par la discipline et la virtuosité. Elle a dansé pour Les Grands Ballets Canadiens, puis pour le Nederlands Dans Theater II et le Gulbenkian Ballet, au Portugal. Au contact de chorégraphes renommés, elle découvre la création qui évolue à même le corps de l’interprète. «On te choisit pour ce que tu es, et tu sens que tu participes à quelque chose d’unique», note-t-elle.

De retour à Montréal en 2000, elle plonge dans la danse contemporaine. Aux côtés de Victor Quijada, elle devient une figure clé de RUBBERBAND, où elle marie la rigueur du ballet à l’énergie brute du hip-hop. Peu à peu, un autre besoin s’impose: celui de créer sa propre signature.

Anne Plamondon — © Jocelyn Michel
Crédits : Jocelyn Michel

Modèles féminins

Son solo Les mêmes yeux que toi est un premier pas marquant dans cette direction. «À cette époque, il y avait peu de femmes chorégraphes ou directrices artistiques. Les modèles étaient masculins. On n’était tellement pas encouragées à ça que je ne l’avais pas envisagé.» Des femmes comme Margie Gillis, qu’elle a découverte, adolescente, sur la scène du Grand Théâtre de Québec, ou Francine Bernier, alors directrice de l’Agora de la danse, l’ont aidée à franchir le pas.

«Je ne pensais pas que j’allais créer. Je crois que j’avais besoin qu’on me donne la permission», souligne-t-elle. La fondation de sa compagnie, en 2018, s’inscrit dans cette continuité: créer un espace où sa voix, et celles d’autres artistes, peut se déployer librement. Une structure pour porter ses projets, soutenir les collaborations et transmettre sa vision très humaine de la danse.

Traverser la virtuosité

Depuis, Anne Plamondon façonne un langage chorégraphique à la fois exigeant et sensible. Chez elle, le corps ne se contente pas d’exécuter: il dialogue, il perçoit, il se souvient. «Le danseur doit traverser la virtuosité pour atteindre autre chose», dit-elle. La technique est un élément fondamental de son art chorégraphique, mais pas une finalité.

Ses œuvres se déploient comme des volumes vivants, où les corps sculptent l’espace par leurs trajectoires et leurs respirations. Elle invite ses interprètes à développer une conscience de la tridimensionnalité. «Je veux qu’ils sentent l’arrière de leur corps, la profondeur qu’ils peuvent habiter.» Ce travail de précision et d’écoute donne à sa danse une présence presque tactile, à la fois charnelle et raffinée.

400x450-myokine

Molécules de l’espoir
Créée en 2023, Myokine marque une étape charnière dans son parcours. Après les années de confinement, l’urgence du mouvement s’impose. Elle veut retrouver le studio, le souffle, le contact avec les interprètes. «Je ne voulais pas m’alourdir avec un thème trop complexe. Je voulais être dans le corps, dans la danse, dans le groupe», explique-t-elle.

Le titre évoque les myokines, sécrétées par les muscles pendant l’effort lesquelles sont associées au bien-être et à la régénération. La chorégraphe surnomme les «molécules de l’espoir». Sur scène, un septuor d’interprètes incarne cette pulsation collective, un organisme en perpétuel rééquilibrage. Les corps génèrent un flux continu d’énergie partagée, où le groupe devient métaphore du vivant.

Quand la voix rejoint le geste

La parole n’était pas prévue au départ. Elle s’est imposée après deux ans de tournée suivant une collaboration avec la dramaturge britannique Lou Cope. «Créer, c’est un acte solitaire. Parfois, on a besoin de se mesurer à un autre regard», confie Anne Plamondon. En studio, elle invite les interprètes à écrire autour de l’espoir: ce qui le nourrit, ce qui le fragilise. Les mots surgissent, échangés, reformulés, puis sont intégrés dans la structure du spectacle comme des respirations. Chaque danseur porte une phrase, une empreinte intime. Ensemble, ces fragments composent une polyphonie de voix humaines, qui s’infiltre dans le tissu chorégraphique.

Lumière et son, matières vivantes

La scénographie de Myokine repose sur la simplicité. Aucun décor, qu’un micro, la musique et la lumière. Avec l’éclairagiste Éric Chad, la chorégraphe imagine une clarté qui perce la pénombre, «comme le soleil filtrant à travers les arbres d’une forêt». Tout le spectacle est traversé par l’opposition entre lumière et noirceur, tension et relâchement. Myokine n’est pas une pièce sur la pandémie, mais elle en porte l’écho — celui d’un besoin vital d’être ensemble, de recommencer, d’espérer mieux.

La trame sonore, composée par Olivier Fairfield et Ouri (Ourielle A. Ové), prolonge le mouvement dans un univers sonore profond et enveloppant. Les deux artistes mêlent percussions, textures électroniques et sons organiques dans une succession d’élans et de suspensions. «Certains qualifient la musique d’hypnotique, souligne la chorégraphe. Par moments rythmée, ailleurs plus suspendue, elle gronde du sol avant de se dissoudre dans la légèreté.» La création s’est faite en dialogue constant: essais, allers-retours, ajustements partagés. Ce travail d’écoute mutuelle entre musique et danse constitue le cœur battant de Myokine.

Copie de 20240717SpectacleMyokine-172 (1)

Inspirer plutôt qu’impressionner

Pour Anne Plamondon, la danse n’est pas une démonstration, mais un acte de partage. «Comme spectatrice et comme artiste, j’aime qu’on m’invite dans un univers, qu’on me livre quelque chose de personnel, mais qui résonne universellement», dit-elle.

Avec Myokine, elle poursuit sa quête de vérité du geste, en tentant de toucher plutôt que de séduire, d’inspirer plutôt que d’impressionner. Sa danse, ancrée dans la condition humaine, parle d’élan, de lumière, de la persistance de la vie. Et si elle se tient aujourd’hui du côté de la création, elle ne ferme pas la porte à un retour sur scène. «Je ne suis pas certaine d’avoir dansé mon dernier spectacle», confie-t-elle. Le mouvement, pour elle, ne s’interrompt jamais: il se transforme, circule d’un corps à l’autre, d’une œuvre à la suivante, comme une respiration partagée.

Le spectacle de danse Myokine sera présenté le lundi 8 décembre 2025 à 19h30 à la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre.

Plus récentes chroniques