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La comédie musicale La Corriveau – La soif des corbeaux s'amène à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec le 4 février 2024. Ce spectacle original met en lumière l’une des histoires les plus passionnantes du Québec : celle de Marie-Josephte Corriveau, condamnée à mort en 1763 pour avoir tué son second mari.

Sorcière ou victime?

Sorcière? Victime de violence conjugale ayant agi par légitime défense? Qui était Marie-Josephte Corriveau? Cette production du Théâtre de L'Œil ouvert se penche sur l'histoire de cette femme qui a donné lieu à maintes légendes au fil du temps.

À 16 ans, en 1749, Marie-Josephte épouse le cultivateur Charles Bouchard à Saint-Vallier, aujourd'hui dans Bellechasse. Le couple aura trois enfants. Elle devient veuve en 1760 et se remarie quinze mois plus tard à Louis Étienne Dodier, un autre agriculteur de Saint-Vallier.

« Les gens ont en tête l'idée de la sorcière. Quand on parle de la Corriveau, tout le monde sait que c'est une sorcière qui a tué sept maris. C'est ça qui a traversé le temps, mais on oublie la femme derrière le personnage plus grand que nature. On oublie qu'il y avait là une ''femme ordinaire'' », raconte Jade Bruneau, codirectrice artistique du Théâtre de L'Œil ouvert.

À la mort de son premier mari, la jeune femme « s'est retrouvée toute seule, maman de trois enfants, à une époque où ce n'est pas vraiment possible d'être toute seule avec trois enfants. Elle a dû se recaser assez rapidement avec un voisin, Louis Dodier, qui était connu dans tout le village comme étant un homme assez violent et colérique. Il se chicanait assez souvent avec (Joseph) le père de la Corriveau », enchaîne Mme Bruneau, qui incarne aussi Marie-Josephte Corriveau dans la production et assure la mise en scène du spectacle.

« Pendant la pandémie, on voyait les chiffres de violence conjugale augmenter. On voyait les féminicides s'accumuler. On avait envie de parler de ça, mais on ne savait pas trop comment. Ce n'est pas un sujet très facile à aborder. En parallèle, nous, dans notre démarche artistique au Théâtre de L'Œil ouvert, on veut créer des spectacles de théâtre musical originaux québécois et mettre en lumière des femmes importantes du Québec », explique-t-elle.

En carrière, la compagnie montréalaise a par exemple conçu des productions inspirées des univers respectifs de Diane Dufresne et de Clémence Desrochers avec les productions Belmont et Clémence. Un spectacle inspiré par Rose Ouellette, dite La Poune, est aussi en création et s'intitule La Géante.

La naissance du projet

Originaire de Lanaudière, Jade Bruneau souhaitait également faire revivre une tradition de théâtre musical dans sa région, où on avait notamment présenté des spectacles comme Les Belles-sœurs. Elle a donc proposé aux diffuseurs de son coin de pays de monter une création originale, sans avoir encore en tête un sujet précis.

L'idée de faire un spectacle inspiré d'une légende a surgi lors d'une séance de remue-méninges avec des collègues. L'auteure Geneviève Beaudet a alors songé à la Corriveau et à « l'histoire de violence conjugale » du personnage.

C'est ainsi que le projet est né vers 2020. Les premières étapes de création ont suivi en 2021. Le spectacle s'est créé « en deux ans, à peu près », un record selon Mme Bruneau. Des productions d'envergure à Broadway nécessitent parfois une dizaine d'années de gestation, dit-elle. La première a ensuite eu lieu à Lanaudière a l'été 2022 devant une salle comble.

Pour écrire le spectacle, l'équipe de création s'est inspirée du livre La Corriveau: de l'histoire à la légende de Catherine Ferland et Dave Corriveau, deux historiens de Québec, pour valider les faits historiques.

La Corriveau aurait été une femme forte, impliquée, avec des opinions, raconte Jade Bruneau . C'était une femme « qui dérangeait probablement beaucoup pour l'époque. Je pense que c'est ça le problème ». Peur, jalousie et désir des Britanniques de faire d'elle un monstre auraient donc contribué à faire naître la légende, croit-elle.

Jade Bruneau
Jade Bruneau

« Avec la légende, la fantaisie, le monde du conte, ça nous permet aussi d'inventer. Ça nous permet de s'envoler, de faire de la magie, de rêver et en même temps d'accrocher ça dans une actualité très contemporaine, car plus ça change, plus c'est pareil », explique Jade Bruneau, en faisant allusion à la violence faite aux femmes.

Malgré son histoire triste, ce spectacle « unique et différent » fera aussi rire et chanter le public, promet Mme Bruneau.

Une distribution de talent

La distribution de La Corriveau – La soif des corbeaux est composée « d'interprètes de théâtre musical qui sont chevronnés, qui ont beaucoup de métier en arrière de la cravate », dit Jade Bruneau.

Outre celle qui incarne la Corriveau, on y retrouve Renaud Paradis (L’Auberge du chien noir, Les Choristes, Chantons sous la pluie), Frédérique Mousseau (Cocktail, la revue musicale), Karine Lagueux (Indéfendable, Unité 9), Simon Labelle-Ouimet (Footloose, Intouchables), Hélène Major (Les Belles-Sœurs, Footloose), José Dufour (Tootsie, Demain matin Montréal m’attend) et Simon Fréchette-Daoust (Le malade imaginaire, Grease).

Trois musiciens sont aussi présents sur scène lors des représentations.

Geneviève Beaudet et Félix Léveillé (auteurs), Simon Fréchette-Daoust (codirecteur artistique du Théâtre de L'Œil ouvert) et Audrey Thériault, compositrice des chansons originales, complètent l'équipe de création.

Découvrez quelques-uns des interprètes de la mouture 2023-2024 du spectacle :


Un peu d'histoire

Le second mari de la Corriveau, Louis Étienne Dodier, est retrouvé mort dans sa grange avec des blessures à la tête en janvier 1763. Le décès est d'abord attribué à des coups de sabot donnés par des chevaux. Mais les rumeurs d’homicide se répandent comme une traînée de poudre dans le village, les relations avec son épouse Marie-Josephte et son beau-père Joseph Corriveau n'étant pas au beau fixe.

Au terme de certains revirements judiciaires et d'un procès en anglais, la Corriveau est condamnée à mort à Québec en avril 1763 pour le meurtre de son mari. La père de la jeune femme, qui avait aussi été accusé dans cette affaire, sera ultimement innocenté.

La dépouille de Marie-Josephte, enfermée dans une cage, sera ensuite suspendue à un gibet dressé à Pointe-Lévy, sur la rive-sud de Québec pendant cinq semaines.

«On est au début du régime britannique. Tout ça ce se passe en anglais. Les jurés ne comprennent pas ce que les témoins disent en français, ce que l'accusée dit en français. L'accusée elle-même ne comprend pas ce qu'on lui dit. C'est un peu un procès de l'absurde. Cette femme-là a vraiment été utilisée pour donner l'exemple, pour faire peur au peuple québécois (sic), pour instaurer l'ordre », explique Jade Bruneau.

Cette cage nourrira ensuite l'imagination. Faits, fiction et légendes se mélangeront au fil des ans. La véritable histoire de la Corriveau sera éclipsée au profit de récits fantastiques ayant alimenté la culture populaire.

La Corriveau
Le squelette de La Corriveau, dans sa cage de fer, terrifiant un voyageur (illustration tirée de "Légendes du Saint-Laurent", 1926).

La cage sera retrouvée dans un musée américain en 2011. Elle sera rapatriée au Québec en 2013 et finalement authentifiée par le Musée de la civilisation deux ans plus tard. Elle avait d'abord été découverte au cimetière Saint-Joseph-de-Lévis en 1851 avant de prendre le chemin des États-Unis comme objet de curiosité.


Ne manquez pas la chance d'assister à ce spectacle au Grand Théâtre de Québec le 4 février 2024!

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