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Dans la pièce Fille de trans, présentée au Grand Théâtre le 17 décembre 2024, Marie-Claude D'Aoust dévoile une histoire très personnelle qui raconte comment elle a vécu la transition de son père Normand alors qu'il est devenu Sophia, assumant pleinement sa transidentité. Pour l'autrice, que l’on retrouve aussi sur scène, c'est avant tout une histoire de famille.

Marie-Claude D'Aoust était au début de la vingtaine et fréquentait l'université lorsqu'elle a su que Normand avait une double identité. « En fait, mon père était à l'époque ce qu'on appelle un cross-gender. C'est une personne qui vit une situation de transition dans laquelle, des matins, il se réveillait et il se sentait Normand, et d'autres matins, il se réveillait et il se sentait Sophia », raconte-t-elle.

« Donc, mon père vivait les deux identités de genre en parallèle, selon son ressenti, et selon son emploi du temps aussi. Il y a eu des matins, évidemment, où il se réveillait en se sentant Sophia, mais c'était Normand qui était attendu à la table ou au bureau. Donc, pendant un bout de temps, ça a été une partie cachée de sa vie. Éventuellement, ma sœur et moi, on l'a su. Mon frère le savait donc, tranquillement, Sophia a commencé à s'exposer davantage, à prendre un peu plus de place, jusqu'au jour où mon père a vécu ce qu'on appelle une crise de dysphorie de genre et Normand a complètement disparu. Sophia a pris la place pour de bon dans notre vie et dans la sienne », enchaîne-t-elle.

Aujourd'hui, Sophia, que Marie-Claude appelle affectueusement « sa papa », est présente en tout temps et cette histoire a fait des petits. Un projet de film inspiré de Fille de trans et financé par la SODEC est en écriture actuellement.

Une histoire de famille

Sujet chaud, la transidentité reste un phénomène souvent incompris, méconnu ou carrément tabou. Toutefois, la pièce n’est ni une conférence, ni un cours d'histoire sur la question.

« Ce n'est pas non plus la biographie de ma papa Sophia. C'est vraiment comment moi, sa fille, j'ai vécu sa transition. C'est une histoire de famille, tout simplement. Comme on en vit tous », dit-elle.

« C'est une façon de démontrer au public que la transidentité, ça concerne tout le monde et que ça peut tous nous arriver d'avoir un proche qui fait une transition » enchaîne-t-elle.

La transition de Normand vers Sophia ne fut toutefois pas évidente pour la jeune Marie-Claude. « Au départ, j'étais dans un déni total. Je refusais d'en entendre parler. Je me disais que ça ne me concernait pas, que ce n'était pas mes affaires. C'était la vie privée de mon père. Puis je ne voulais pas que mon père m'en parle non plus. Donc, je n'étais vraiment pas dans l'accueil. Ça a été très, très long avant que je m'ouvre à cette situation-là. Ça a pris à peu près quatre ans, je dirais, avant que j'accepte de rencontrer Sophia pour la première fois. Puis après, ça a été un long, long processus d'accepter de la voir », avoue-t-elle.

« Mon père était encore présent à l'époque, donc j'avais la possibilité d'avoir Normand à mes côtés. Sophia, pour moi, elle n'était pas essentielle à ma vie. Je la côtoyais à temps partiel. C'est presque dix ans plus tard que mon père a annoncé la transition permanente. Ça a été un coup dur. J'avais 28 ou 29 ans, je pense. »

Celle-ci a eu lieu il y a une dizaine d'années. Marie-Claude était alors maman de deux enfants en bas âge. Le conjoint de la jeune femme, des proches et des collègues avaient aussi de la difficulté à comprendre le transition de Sophia. L'autrice a donc senti le besoin de les épauler à travers le cheminement de « sa papa ».

« Je me suis donné la responsabilité d'accompagner tout le monde là-dedans, pour que ça se passe le mieux possible. Je n'ai peut-être pas nécessairement pris le temps de vivre ce que ça créait pour moi, en fait. Je dirais que c'est en écrivant le spectacle que je suis revenue à reculons dans ces années-là », dit-elle.

De la vie à la scène

Marie-Claude a évidemment consulté Sophia en amont de la création de Fille de trans.

« Avant de lancer le projet de Filles de trans, j'ai demandé à Sophia son niveau de confort à ce que j'aborde le sujet publiquement. J'ai eu son aval immédiatement. Sophia, c'est une activiste très impliquée dans la communauté. Pour elle, c'était un autre chemin qu'on prenait pour aider la cause donc, elle a été très humble et ouverte face à la démarche. Elle a été la première lectrice de toutes les versions. C'était important pour moi d'avoir son aval avant de présenter le projet publiquement. Évidemment, Filles de trans, c'est ma vision des choses. Ce n'est pas la sienne donc il y a des choses qui ont été confrontantes pour elle. Il y a des choses qui ont été difficiles à accepter et qui l'ont peut-être heurtée à certains moments mais, avec beaucoup d'humilité et de bienveillance, elle me permet l’exprimer sur scène », raconte la jeune femme.

Sur les planches, Marie-Claude D'Aoust se raconte sans filtre. Rien n'a été inventé pour les besoins de la pièce. « Il n'y a rien de romancé dans le spectacle. Tout est vrai. Évidemment, il y a des choses qui sont arrivées sur 2, 3, 4 ans qu'on a rassemblées dans un événement pour que le spectacle ne dure pas 4 heures, mais c'est ma vraie vie. Je suis en toute vulnérabilité, devant les gens, à me raconter. »

Marie-Claude est accompagnée sur scène d’Éric Cabana dans le rôle de Normand/Sophia et d’Audrey Guériguian, qui incarne une vingtaine de personnages croisés au fil du temps. Yann Tanguay (Comme des têtes pas de poule, Les Mutants, Marika) assure la mise en scène.

Marie-Claude, qui n'est pas comédienne, avait tout de même étudié en théâtre au cégep, car son rêve de jeunesse était d’être animatrice à la télé. Elle a ensuite bifurqué dans le milieu culturel, comme Sophia. « Puis rapidement, en suivant les traces de mon père, je me suis retrouvée en production et en programmation artistique de festivals », dit-elle.

Tête d'affiche de Fille de trans, elle ne pensait pas porter elle-même le spectacle qu'elle avait écrit. Les réactions positives à la suite d'une lecture publique de son texte l'ont convaincue. « (On m'a dit) personne ne peut être plus qualifié que la personne qui l'a vécu. Je pense que ça permet de créer un lien d'attachement très fort entre le public et moi. »

L'objectif de Fille de trans, « c'est de parler de transidentité, puis de voir comment nous, en tant que personnes cisgenres (…), on peut se positionner dans l'accueil, dans l'amour, dans la disponibilité, pour accompagner nos proches », conclut Marie-Claude D'Aoust.

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