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Le Ballet Jörgen de Toronto connaît ses classiques et sait comment leur donner de l’élan. Le 28 septembre 2025 au Grand Théâtre, place à une version rafraîchissante de La Belle au bois dormant.

Pour le directeur artistique de la compagnie canadienne Ballet Jörgen, Bengt Jörgen, le ballet est loin d’être un art du passé. Il s’agit plutôt d’un langage d’une émouvante beauté qui permet de raconter des histoires universelles, qui carburent aux grandes émotions humaines.

« Depuis plus de 500 ans, c’est une manière très efficace de communiquer en mouvement et en beauté, en élégance, en intimité, expose-t-il. Le ballet a survécu tout ce temps parce qu’il a toujours su s’adapter à son époque. Les adaptations comme celles que nous faisons sont exactement ce qui lui a permis d’évoluer et de durer. »

De propagande à allégorie

À la création en 1890, en Russie, le ballet La Belle au bois dormant se veut un hommage à la Cour de Versailles et au règne du Roi-Soleil, Louis XIV. Le directeur des Théâtres Impériaux de Russie voulait ainsi glorifier l’Ancien Régime.

« L’esthétique, à la création, envoyait un message politique qui n’a plus aucun sens si on le transpose aujourd’hui », note Bengt Jörgen. Le directeur artistique et chorégraphe a plutôt choisi de conserver les propriétés du conte de Charles Perreault — l’idée du grand combat entre les forces du bien et les forces du mal — en développant une allégorie de la nature et des saisons.

La triade des ballets classiques

Trois œuvres fondatrices sont inscrites au répertoire de chaque grande compagnie de ballet : Casse-Noisette, La Belle au bois dormant et Le lac des cygnes. Toutes ont été créées en Russie à la fin du 19e siècle, sur des musiques de Piotr Ilitch Tchaïkovski.

« Celles-ci transcendent le ballet, elles transportent les danseurs et font partie intégrante de leur bagage, explique Bengt Jörgen. Elles sont à la fois merveilleuses et très reconnaissables, tant par ceux qui connaissent bien la danse classique que de ceux qui n’ont jamais assisté à un spectacle. »

Marier classiques et modernité

Rejoindre le public d’aujourd’hui ne signifie pas pour autant de balayer la tradition. Le directeur du Ballet Jörgen s’est imprégné et cite avec soin des passages célèbres de la chorégraphie originale de Marius Petipa. « Le grand pas de deux dans l’acte final et le solo de l’Oiseau bleu, qui devient un pas de deux avec la fée Lilas, sont très connus, et on n’y touche pas. »

L’ensemble, toutefois, sera resserré et modernisé. « J’ai pu faire des coupes, des ajustements et il y a certaines parties qui ont clairement été créées aujourd’hui, même si c’est dans un vocabulaire classique. Vous verrez tout de suite que ça n’a pas été fait en 1890 ! », annonce le chorégraphe.

Ancrage canadien

Pour rejoindre le public, Le Ballet Jörgen tient aussi compte du territoire où il s’inscrit : le Canada. Il a par exemple présenté cet été un spectacle à partir du roman Anne… la maison aux pignons verts de Lucy Maud Montgomery, qui se déroule sur l’île du Prince-Édouard alors que son Lac des cygnes se situe aux abords de la pittoresque forteresse de Louisbourg, en Nouvelle-Écosse.

« Dans ce cas-ci, vous ne reconnaîtrez pas d’élément typiquement canadien, comme des feuilles ou une flore particulière, c’est une allégorie de la nature assez universelle », souligne Bengt Jörgen.

Il s’est toutefois inspiré d’une légende de la Saskatchewan qui raconte comment la rose a obtenu ses épines. Dans cette métaphore, Aurore est la fleur, et elle acquiert ses épines après avoir traversé son long séjour dans le monde sombre et hivernal de Carabosse.

« On peut facilement faire un parallèle entre Aurore et Perséphone, dans la mythologie grecque », ajoute le chorégraphe. Celle-ci passe la saison morte aux enfers avec son époux et son retour sur Terre auprès de sa mère déclenche bourgeonnement et floraison.

Lumière et légèreté

Le Ballet Jörgen met la danse à l’avant-plan en mettant l’emphase sur la pureté du mouvement et une interprétation incarnée. « Nous avons de magnifiques éclairages et costumes, mais nous ne dépendons pas de ceux-ci pour raconter l’histoire », résume Bengt Jörgen.

Une légèreté lumineuse et colorée enveloppera la présence des fées, alors que le monde de Carabosse baigne dans une ambiance sombre et souterraine. Les éclairages conçus par Rebecca Picherack et les costumes et décors de Camellia Koo sont ainsi en parfait accord avec la chorégraphie.

Complémentaire

Interprètes d’horizons divers

Ceux et celles qui interprètent les rôles principaux font partie de la compagnie depuis plusieurs années. La très grande majorité des membres permanents du Ballet Jörgen y ont aussi suivi leur formation — un volet cher au cœur du directeur artistique.

Akari Fujiwara sera princesse Aurore. Pendant ses neuf saisons avec la compagnie, elle a incarné plusieurs premiers rôles, dont Cendrillon et Juliette. « Donc elle a tout ce qu’il faut pour le rôle d’Aurore, qui a des fondements très classiques, très exigeants », souligne Bengt Jörgen. Au fil des ans, elle a développé une belle chimie avec le danseur d’origine cubaine Omar Hernández, qui jouera le prince Florimund.

Adrián Ramírez Juárez, originaire du Mexique, interprétera Carabosse. « C’est un danseur dramatique exceptionnel, avec beaucoup de puissance et une présence imposante. » Au moment de l’entrevue, le chorégraphe n’avait pas encore déterminé si La Fée Lilas aura les traits de Lydia-Laure Germain ou d’Esther Zignaigo, « deux âmes douces qui savent aussi s’affirmer », comme le demande ce rôle.

La passion avant la perfection

Maîtrise technique n’est pas synonyme de perfection pour le chorégraphe. « Le ballet est un art vivant, et c’est ce qui le rend si captivant, il n’y a pas de reprise possible, pas de montage. Tous les interprètes n’ont pas à être absolument parfaits pour que ce soit une magnifique expérience, puisqu’ils peuvent s’appuyer les uns sur les autres. »

Il s’intéresse à l’énergie et à la façon de danser des interprètes, sans s’attarder à leur apparence ou à leur morphologie. « Nous ne voulons pas que le public admire le ballet sur un piédestal, nous venons créer une connexion », affirme-t-il. La variété des parcours et des origines est ce qui fait la force et le caractère particulier de sa compagnie.

Pour tous les publics

Tous les membres du Ballet Jörgen ont appris, à travers les représentations scolaires et les tournées dans des salles de toutes dimensions, dans les grandes villes comme en région éloignée, à adapter leur interprétation pour rejoindre et toucher le public.

« Cet ajustement constant fait que nos interprètes sont très conscients et comprennent que la danse, c’est beaucoup plus qu’une série de mouvements. On tente de créer des pièces qui contiennent de l’humour, de l’intimité et de l’émotion, et qui rassemble les générations », conclut Bengt Jörgen.

Le spectacle La Belle au bois dormant du Ballet Jörgen sera présenté le 28 septembre 2025 à 19 h 30 à la salle Louis-Fréchette.

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