Le Patin Libre : vives envolées sur glace

De la fête au geste chorégraphique

À ses débuts en 2005, la compagnie montréalaise Le Patin Libre organisait des soirées sur glace underground, des événements où des patineurs de haut calibre et le public se mêlaient dans une effervescence festive. « On a fait ça avant de faire des œuvres chorégraphiques. Au départ, Le Patin Libre animait des carnavals d’hiver. La fête, la rencontre, c’est la base de la compagnie », explique Alexandre Hamel, directeur artistique et un des cinq fondateurs.

Ces moments de liberté ont nourri leur réflexion : le patinage pouvait être autre chose que de la performance technique ou du divertissement spectaculaire. Petit à petit, leurs expérimentations ont évolué vers une véritable démarche chorégraphique axée sur la glisse. « Les acrobaties, les circassiens les font mieux que nous, les mouvements, les danseurs le font mieux que nous. Notre unicité, c’est ce déplacement un peu contraire aux lois normales, qui nous permet de filer magiquement à travers l’espace ».

Lors de la présentation d’un spectacle à Londres en 2014, la compagnie est repérée par Sadler’s Wells, l’un des grands producteurs de danse contemporaine. Au lieu de travailler avec un chorégraphe invité, le groupe s’associe plutôt avec une dramaturge et décide de développer une nouvelle forme artistique : le patinage contemporain. « Sadler’s Wells nous a pris sous son aile juste au bon moment, alors qu’on était assez confiants pour refuser un chorégraphe, mais assez conscients des défis devant nous pour apprécier l’aide et l’expertise du milieu de la danse », expose Alexandre Hamel.

Plusieurs façons d’être ensemble

Ce travail minutieux demande une maîtrise totale du patinage. Les interprètes doivent avoir un haut niveau technique pour s’intégrer à cette dynamique fluide et rapide. L’effet final est vertigineux : des trajectoires qui s’entrelacent et se recomposent sans cesse, dans une énergie à la fois maîtrisée et instinctive.

« Lorsqu’on a pu rassembler quinze interprètes, on a été soufflés par l’effet, note Alexandre Hamel. En imitant les oiseaux, on a aussi vécu une façon d’être ensemble, de vivre des conflits, de connaître la solitude d’être éjecté du groupe. On a tissé ces images-là pour créer le spectacle. »

Dans leurs précédents spectacles, le public était parfois placé sur la glace. Murmuration, toutefois, se découvre en plongée, depuis les gradins de la patinoire. Ce point de vue renforce la perception des motifs mouvants, des trajectoires et de l’effet de masse, tout en accentuant la sensation de vitesse. L’expérience ne s’arrête pas là. Fidèle à son ADN, Le Patin Libre invite le public à une fête dansante sur glace après l’une des représentations (celle du samedi après-midi), renouant ainsi avec l’esprit qui a marqué ses débuts.

Créer sans ancrage : le défi des espaces de glace

Si Le Patin Libre a su se faire un nom à l’international, la compagnie demeure nomade, contrainte par un accès limité aux patinoires. « C’est très difficile pour nous d’avoir accès aux heures de glace. On est souvent vus comme des hurluberlus dans le monde des arénas », explique Alexandre Hamel. Au Québec, où les patinoires sont réservées en priorité au hockey, les créateurs doivent se battre pour obtenir du temps pour créer. Cette situation a poussé la compagnie à créer Murmuration en grande partie à l’étranger. En France, où les patinoires sont gérées comme des centres communautaires, l’accès à la glace est plus souple. « On utilise les cases horaires qui sont vides et en échange, on intervient auprès de groupes scolaires et on anime des séances de patinage public. » Grâce à l’ouverture de la direction de l’aréna de Baie-Saint-Paul, une résidence de cinq semaines dans Charlevoix a aussi permis au spectacle de voir le jour.

La création, commencée en 2018, a été ralentie par la pandémie. L’interruption forcée des résidences a offert aux trois chorégraphes — Pascale Jodoin, Samory Ba et Alexandre Hamel — un temps précieux pour approfondir leur réflexion et affiner leur technique. « Avec Pascale, qui est aussi ma partenaire dans la vie, on a pu travailler beaucoup de duos qui ont laissé une marque sur le spectacle », souligne Alexandre Hamel.

Une compagnie portée par ses fondateurs

Vingt ans après sa création, Le Patin Libre demeure une aventure collective. Ses cinq fondateurs sont toujours présents, impliqués à divers niveaux de la création. Dans Murmuration, quatre d’entre eux patinent, tandis que le cinquième, Jasmin Boivin, a composé la musique avec Philippe Le Bon et contrôle la console pendant les spectacles.

Leur musique dialogue avec le son brut de la performance : des silences et des ajustements de fréquences permettent de mettre en valeur le bruit des lames sur la glace. « Musicalement, c’est extrêmement varié, du néoclassique au métal, en plus lent, décrit Alexandre Hamel. « Il y a des moments plus minimalistes et d’autres avec de grandes envolées mélodiques qui nous portent très, très haut. »

Dans chaque production du Patin Libre, l’éclairage est pensé avec une grande précision pour mettre en valeur le mouvement et l’espace scénique inhabituel. « On va chercher des designers qui viennent du théâtre, de la danse, de l’opéra. Ils sont super motivés par cet espace immense. C’est fou la grandeur d’une patinoire de hockey pour lancer une proposition artistique. »

Rayonner et rassembler

En deux décennies, la compagnie s’est taillé une place sur la scène contemporaine. Récompensée par le Prix du CALQ pour la meilleure tournée internationale 2024, elle a séduit des publics aussi divers que ceux de la Biennale de Venise et d’un centre communautaire en Arkansas. « Je vois de moins en moins de différences entre les pays. Ce mélange de publics, entre amateurs de danse contemporaine et spectateurs émerveillés par l’athlétisme du patin, existe partout », observe Alexandre Hamel.

S’il demeure seul dans son créneau de patinage contemporain, Le Patin Libre a inspiré d’autres compagnies et son style a été repris dans le monde du patinage artistique et du spectacle sur glace. « On vient du monde du patin où tout est big, où il y a de la pyrotechnie et des foules de 20 000 personnes », rappelle Alexandre Hamel, qui a été champion provincial en patinage artistique et employé par Disney On Ice. « Nous, on a choisi de rester petit. On prend le temps de créer, on n’est pas des vedettes. On a sacrifié les grands profits commerciaux pour quelque chose de plus modeste, mais qui, pour moi, est plus riche. »

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Le spectacle Murmuration sera présenté à l’aréna Michel-Labadie les 4 et 5 avril 2025.

• Une coprésentation de La Rotonde et du Grand Théâtre de Québec