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Photo : Stéphane Bourgeois

« Heureux comme un chien dans une boîte de pick-up », chante Patrice Michaud sur 1977. Pour décrire son état d’esprit alors qu’il prend la barre de la programmation du Grand Théâtre de Québec, Christian Noël ne trouve pas de meilleure expression. La voie de ce conteur né, qui a accumulé autant d’aptitude que d’anecdotes en 25 ans de métier, semblait toute tracée vers son nouveau poste, qui lui sied comme un gant.

Tout a commencé avec Offenbach

Christian Noël a grandi à Sainte-Euphémie-sur-Rivière-du-Sud, non loin de Montmagny. Il a hérité de la curiosité, du goût de la lecture et de l’ouverture sur le monde de sa mère, une enseignante, et du côté pragmatique, structuré et terre à terre de son père, camionneur.

Un de ses premiers souvenirs de spectacle est d’avoir vu Offenbach à Montmagny, au début des années 80. « Je n’avais pas l’âge d’être là et j’avais dit à mes parents que j’allais dormir chez un ami », raconte-t-il, visiblement encore heureux de son coup. Cette première rencontre marquante avec les arts de la scène a été la bougie d’allumage d’une passion qui l’anime depuis ce jour.

Il a eu son baptême de production de spectacles tôt, alors qu’il était au cégep de Lévis, en organisant une prestation de Me Mom and Morgentaler, un groupe de ska punk de Montréal. Il était aussi président du conseil étudiant sous la réforme Robillard. Une expérience militante qui lui a fait délaisser « un peu » ses études et qui l’a fait migrer une première fois dans la capitale, au Petit Séminaire de Québec.

Inscrit en philosophie à l’Université Laval, il est devenu attaché politique, agent d’artistes, propriétaire de restaurants, enseignant au niveau collégial et directeur général et artistique — dans l’ordre… et en simultané!

« Il y a moins d’un an, j’ai décidé de retourner aux études et de suivre un programme du MIT [Massachusetts Institute of Technology] de Boston, un certificat en leadership et innovation. Je débuterai sous peu un autre volet de ce programme, Cultural Awareness [sensibilisation culturelle], ça va être super intéressant. », expose-t-il.


D’une rive à l’autre

Sans adhérer à un style musical en particulier, il aime les artistes entiers, qui font leur chemin avec patience, audace et conviction. Les trois temps forts de la dernière programmation qui portait sa marque, en août dernier, comprenait : la polka punk des Dreadnoughts, l’énergie enracinée de Shawn Philips et Magtogoek de Boucar Diouf. Rassembler des foules « d’un cheveu bleu à l’autre » (de celui des punkettes à celui des dames d’expérience) lui plait plus que tout.

Depuis un an et demi, il est de retour à Québec avec un pied à terre en Basse-Ville, dans le brouhaha du quartier Saint-Roch. « J’avais le rêve de partir de chez nous et aller travailler à pied en écoutant de la musique », note-t-il. Il conserve toutefois sa résidence dans la région de la Chaudière-Appalaches, où il a œuvré pendant plus de 22 ans à la direction générale et artistique des Arts de la scène de Montmagny. « Ces deux lieux, ça me décrit très bien : le loft avec les plafonds de 15 pieds dans le cœur de l’action, et la maison ancestrale sur un grand terrain. Avec moi, il n’y a pas d’entre-deux. »

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Photo : Stéphane Bourgeois

Tisser des liens avec les artistes

Le nouveau directeur de la programmation a rencontré son prédécesseur il y a déjà bien longtemps. Christian Noël était alors gérant du groupe Trad Les Batinses. « Je suis venu lui porter un CD et une pochette de presse et, finalement, on a parlé de musique pendant trois heures », raconte-t-il.

Sa nouvelle fonction, pour lui, signifie non seulement prévoir des spectacles qui vont plaire à différents publics, mais surtout établir des relations durables avec les artistes. Assister aux spectacles qu’il programme est pour lui une évidence et l’aboutissement de démarches parfois longues et complexes.

Christian Noël se souvient d’un moment, il y a une vingtaine d’années, où il a remonté le moral d’un artiste avec Michel Côté. « Boucar Diouf avait fait un showcase dans le cadre du ROSEQ et ça avait été vraiment ardu. Il était un peu ébranlé à la suite de cette première expérience. On s’est assis au bord de la rivière, sur un banc de parc, avec lui. On lui a dit de ne pas lâcher, qu’il fallait juste qu’il trouve le bon créneau, la bonne équipe. » L’humoriste-conteur maintenant reconnu raconte souvent qu’il ne ferait peut-être plus ce métier si ce n’était des deux programmateurs et mélomanes.


Un mélange d’audace et de patience

Christian Noël s’est mis à travailler avec Les Batinses après une discussion franche et animée, aux Salons d’Edgar. « Avant que le sociofinancement soit à la mode, on a fait imprimer des feuilles jaunes aux Copies de la Capitale, on vendait l’album 20$, ça donnait une bière de la Barberie, raconte-t-il. On a eu une belle occasion au Festival d’été [en première partie de Michel Rivard sur les Plaines] et la première salle qui nous a programmés, ça a été le Grand Théâtre. »

Au tournant des années 2000, il accepte le mandat de monter une programmation plus ambitieuse à Montmagny. La ville accueille alors 4 à 6 spectacles par an… un chiffre qu’il a réussi à faire monter à 125 lorsqu’il annonce son départ au conseil d’administration, il y a un an et demi. Il y a présenté de la danse, du théâtre, de la musique en tous genres, des spectacles de variétés et beaucoup, beaucoup de chanson.

Il a appris à prendre son temps, en développant de nouveaux créneaux un spectacle à la fois, et à établir des partenariats pour mettre le bon artiste dans la bonne salle et rejoindre le public où qu’il se trouve. Tout était à construire.

Cultiver les lieux

Au Grand Théâtre, il retrouve ce champ de possibles à défricher grâce au STUDIOTELUS, qu’il voit comme un incubateur parfait pour enregistrer des balados et des podcasts devant public, faire des rodages, ou encore présenter des concerts de jazz ou de spoken word.

Il a lui-même, il y a longtemps, exploité un coin inusité du Grand Théâtre pour le lancement d’un album d’Alligator Trio : le quai de déchargement. «Le batteur était dans le monte-charge et les deux autres musiciens étaient devant. On n’avait qu’à brancher un fil et ouvrir la porte de garage. C’était épique! »

Christian Noël est convaincu que le Grand Théâtre peut attirer des jeunes et accueillir les premiers spectacles de futurs grands noms. « J’aime que le jeudi soir ce soit Mon Doux Saigneur, puis qu’on présente Roger Hodgson le vendredi. Que la clientèle se régénère d’un soir à l’autre. Si je devais me confiner à un seul créneau, je ne serais pas heureux », expose-t-il.

Plaisirs variés

Le nouveau directeur de la programmation envisage qu’il y ait un peu plus de jazz, de blues et de musique du monde, dans l’institution du quartier Montcalm. « Et en chanson en ce moment au Québec, il y a une très belle scène de la relève, souligne-t-il. Je veux faire des alliances avec d’autres salles qui vont peut-être en surprendre quelques-uns. »

Nourrissant une admiration sincère pour les artistes qui ont du métier, plus rien à prouver et encore beaucoup à apporter, il aimerait développer une série « service rendu à la nation », qui permettrait d’entendre des Diane Dufresne, Michel Pagliaro ou d’autres grands noms de la scène québécoise comme Robert Charlebois et Plume Latraverse, des habitués du Grand Théâtre.

Travailler avec des organismes comme la Rotonde, qu’il connaît bien, s’allier avec des évènements et faire rayonner le Grand Théâtre dans différents quartiers de la ville, jusque dans les écoles, lui permettra de poursuivre un axe important de sa vision de la programmation : établir des partenariats. « On fait partie d’une communauté, d’un quartier où il y a beaucoup d’immigrants. Je suis un gars de musique du monde et j’aime les gens, ça pourra créer de belles occasions. »

Robert Charlebois_Photo Marc-Antoine Halle
Robert en CharleboisScope

Photo : Marc-André Hallé

Faire naître des passions

Amener des spectacles à l’école peut aussi faire naître des passions… Il en sait quelque chose puisqu’il a fondé le DEC en Gestion des techniques de scène au Centre d’études collégiales de Montmagny. Il y enseigne la gestion depuis 2003, en plus d’y coordonner les stages, ce qui lui a permis de développer un impressionnant réseau de contacts. « Je me suis découvert une passion pour l’enseignement et j’ai appris à évoluer dans un cadre institutionnel. Une expérience que je vais pouvoir mettre à profit au Grand Théâtre, qui est une Société d’État. »

Lorsqu’il a annoncé qu’il ne renouvellerait pas son mandat à la tête des Arts de la scène de Montmagny, il croyait qu’il se concentrerait sur l’enseignement… mais le Grand Théâtre lui a ouvert les bras.

«J’ai l’impression d’être dans un moment de grâce, à 48 ans, de me dire que je fais enfin, pour la première fois peut-être, quelque chose que je veux complètement», dit-il avec un large sourire.


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