Photo de la chronique
Photo : Justine Latour

Partez à la rencontre du photographe principal du Grand Théâtre, qui a accepté de nous parler de son parcours et de nous partager quelques souvenirs marquants dans nos salles.

L’art de la discrétion

Si certains de ses confrères se font tout de suite remarquer avec leurs rafales de clics et leurs objectifs massues, Stéphane Bourgeois, lui, se plaît à jouer les ninjas. Armé d’une petite caméra silencieuse, le photographe du Grand Théâtre se déplace dans les allées des salles Louis-Fréchette et Octave-Crémazie en demeurant imperceptible pour la plupart des spectateurs.

Dès ses débuts il y a une dizaine d’années, il décide d’investir dans des boîtiers sans miroir, une nouveauté dans l’arsenal photographique à l’époque. « J’ai utilisé la technologie pour devenir un peu plus invisible. En enlevant le bruit de mon appareil photo, je devenais presque indétectable », raconte Stéphane Bourgeois. Un avantage considérable, puisque l’occasion de saisir « la » bonne photo survient parfois pendant un moment de silence suspendu.

Il s’habille de noir du collet aux... chaussettes, puisqu’il enlève ses souliers pour éviter tout couinement malvenu. « Je me déplace pendant les bouts plus actifs, puis je m’accroupis ou je m’assois pour ne pas déranger. La plupart du temps, je ne sais pas ce qui s’en vient dans le spectacle donc ça exige d’être attentif, de réagir vite. Je suis conscient qu’il y a des gens qui paient pour être là, même si en assistant à tous les shows, on pourrait avoir tendance à oublier cet aspect-là. »

Sa fonction lui permet parfois de se retrouver sur scène sans être musicien ou comédien et lui donne accès aux coulisses et aux salles de répétition, inaccessibles au commun des mortels.

« Je crois que je pourrais entrer à bien des endroits où on ne m’attend pas simplement parce que j’ai un appareil photo, lance-t-il. C’est une clé en or qui ouvre toutes les portes. »

L’étiquette à respecter en tant que collaborateur du Grand Théâtre ne l’empêche pas de collectionner les moments de grâce. « Dans la photo de spectacle, à part tes paramètres de caméra, tu ne contrôles rien, note-t-il. Ni ce qui se passe devant toi, ni le reste. Parfois tu es à un pied du meilleur angle de ta vie, mais parfois tu cliques au bon moment et tout est là : la personnalité de l’artiste, l’émotion, et aucun pied de micro ou fil dans le champ de vision. »

Heureux généraliste

Né à Grand-Mère, Stéphane Bourgeois a fait son cégep à Shawinigan avant de s’établir à Québec pour étudier en design graphique à l’Université Laval. « J’ai fait trois années d’université pour me rendre compte que ma pratique, ce n’était pas tellement le design, mais plus la photo », raconte-t-il. Fort de ce constat, il entre à l’école de photographie de Québec. « Je suis allé parfaire mes connaissances parce qu’en photo, le hasard fait qu’une fois de temps en temps une excellente image sort, mais tu ne sais pas trop pourquoi, ce n’est pas contrôlé. Si tu veux gagner ta vie avec ça, tu as besoin d’un peu plus de méthode! »

Il se lance comme photographe professionnel en 2009 et co-fonde L’Établi, un espace collectif rassemblant des cinéastes et photographes, logé au-dessus des Salons d’Edgar dans le quartier Saint-Roch.

Il y travaille toujours aujourd’hui. « Le lieu nous a donné un certain professionnalisme aux yeux des gens à nos débuts », note-t-il, attablé au comptoir de la pièce principale, où ont été présentées des expositions pendant plusieurs années. « Ça n’a pas dégagé beaucoup de revenus, mais nous nous sommes faits plein de contacts. »

Il construit contrat par contrat une pratique photographique diversifiée. « Au début, j’ai dit oui à tout », souligne le jeune quarantenaire. Sa curiosité et son ouverture l’empêchent de se cantonner à un seul domaine, et donc à un seul style. Pas de niche, pas de recette, donc pas de risque de se répéter ou de s’ennuyer.

Stéphane Bourgeois
Stéphane Bourgeois par Justine Latour

Coup de foudre au Trident

À l’automne 2013, le Théâtre du Trident l’engage pour collecter des images de la générale de L’Absence de guerre. « Débarquer au Grand Théâtre pour aller faire des photos du Trident, pour moi, c’était gros! », se souvient Stéphane Bourgeois. Sur ce nouveau terrain de jeu, il est confronté à une mise en scène inhabituelle, où les comédiens jouent sur un long plateau, entre la salle et des gradins qui se trouvent sur scène. « J’ai été pris dans le feu de l’action, dans une relation de proximité avec les interprètes, et j’ai eu un coup de foudre. Probablement que ça a paru dans le résultat, parce qu’ensuite on m’a demandé de faire les visuels de saison. »

Créer des images fortes en collaboration avec toute une équipe de professionnels — scénographe, metteur en scène, acteurs, maquilleuse, alouette — est un vrai bonheur. « J’aime bien quand les clients participent. Impliquer tout le monde, ça fait que les idées vont plus loin. Les gens comprennent mieux le concept, ils sont plus fiers du résultat », constate le photographe. C’est aussi l’occasion de s’inscrire dans l’histoire. « Lorsque tu travailles pour des institutions qui existent depuis 50 ans, il faut que tu te forces pour être à la hauteur de ce qui s’est fait dans le passé tout en l’inscrivant dans le présent », souligne Stéphane Bourgeois.

La détresse et l'enchantement du théâtre du Trident
La pièce 887 de Robert Lepage au Trident
Five Kings du théâtre du Trident
Salle de nouvelles du théâtre du Trident
Cabaret du théâtre du Trident
Quinze façons de te retrouver du théâtre du Trident
"La détresse et l'enchantement"

Photo : Stéphane Bourgeois

"887"

Photo : Stéphane Bourgeois

"Five Kings"

Photo : Stéphane Bourgeois

"Salle de nouvelles"

Photo : Stéphane Bourgeois

"Cabaret"

Photo : Stéphane Bourgeois

"Quinze façons de te retrouver"

Photo : Stéphane Bourgeois

La bosse des archives

Outre la chasse à l’image, le métier de photographe implique aussi un long travail de tri, de traitement et d’archivage, des étapes que Stéphane Bourgeois aborde avec le même dévouement que son travail sur le terrain. « En janvier, un homme m’a apporté 40 ans de diapositives ayant appartenues à son père, pour que je les numérise et que ça devienne le legs familial. C’est plus mécanique que créatif, mais j’ai accès à la vie de quelqu’un, c’est assez formidable! », donne-t-il en exemple.

Dans ses multiples fonctions, il a documenté toutes les archives du Théâtre du Trident, qui a célébré ses 50 ans en 2021. Devant le matériel étalé sur une quinzaine de tables dans l’espace commun de L’Établi, il a pris une seconde pour savourer ce moment privilégié : « Je me disais que j’étais une des premières personnes, dans l’histoire du Trident, à avoir regardé toutes les photos. C’est beau et étrange comme sentiment. »

Photobox Studio

Stéphane Bourgeois est le fondateur de la petite entreprise Photobox Studio. Tout a commencé par une demande (photographier tous les invités des mariages), un malaise (déranger chaque convive) et une idée : utiliser un photomaton. « Mais souvent le résultat n’était pas tempête. C’était un compromis. Alors je me suis mis en tête que j’allais en faire un », raconte le photographe, qui a vite reçu des demandes de divers organismes culturels ou du milieu des affaires qui souhaitaient aussi immortaliser leurs évènements de manière ludique.

Pour que les contextes se distinguent, il a eu l’idée de produire des fonds personnalisés. « Ça crée des résultats dynamiques, très spontanés, faciles et intéressants à utiliser pour les communications, c’est un clé-en-main bien emballé et honnête. Juste avant la pandémie, on sortait les trois machines 60 ou 70 fois par année », expose-t-il.

Le soir (ou la nuit) même, il traite et trie les photos pour qu’elles soient disponibles le lendemain.

Personnel d'accueil du Grand Théâtre dans le Photobox
Du personnel d'accueil du Grand Théâtre lors d'une séance de Photobox

Trois photos marquantes au Grand Théâtre

Papa Roach (mai 2017)

« Le Grand Théâtre peut aller jusque-là! », note Stéphane Bourgeois en parlant du concert de Papa Roach qui fait l’objet de cette photo. « C’est rare qu’on voie du gros rock, avec un public debout. Il y a rarement autant de basse. C’est la première fois que je sentais le plancher bouncer! »

Papa Roach par Stéphane Bourgeois

Photo : Stéphane Bourgeois

Daniel Bélanger (avril 2018)

Un soir, mu par l’impulsion du moment, le photographe décide de partager sur Instagram un cliché montrant Daniel Bélanger en pleine action sur la scène du Grand Théâtre. Le lendemain matin, son téléphone sonne et l’agent de l’auteur-compositeur-interprète est au bout de la ligne. « Il m’a dit : Daniel vient de voir ta photo, il trippe vraiment pas mal, on peut-tu l’acheter? » Demande à laquelle il s’empresse d’acquiescer. Sa photo se retrouvera sur un t-shirt. « C’est un artiste que j’apprécie, alors ça m’a fait vraiment plaisir. »

Daniel Bélanger par Stéphane Bourgeois

Photo : Stéphane Bourgeois

Parmi l’Orchestre symphonique de Québec (septembre 2018)

Stéphane Bourgeois se souvient très bien de la sensation qui l’a parcouru lorsqu’il s’est retrouvé au milieu des musiciens de l’OSQ, qui lui ont souhaité la bienvenue en tapant des pieds — une tradition qui leur permet de ne pas lâcher leurs instruments. Dès les premières mesures, un sentiment grandiose le traverse. « On est habitué de les entendre de la salle, mais sur scène, en 360, c’est vraiment particulier. Être entouré des musiciens, avoir le droit d’être parmi eux, en déplacement, j’ai adoré cette expérience-là. »

Stéphane Bourgeois parmi l'Orchestre symphonique de Québec

Photo : Stéphane Bourgeois


Exposition Le Grand Théâtre de Québec dans l'œil du photographe

Profitez d'une visite au Grand Théâtre ou ses alentours pour admirer d'autres clichés saisis dans nos salles par Stéphane Bourgeois. Située sur le site extérieur du Grand Théâtre (côté rue de Claire-Fontaine), l'installation vous propose une rétrospective des dernières années et de vivre l'essence même des arts vivants, de la scène à l'image.

Accessible gratuitement et en tout temps dès juin 2022

Une exposition photographique de Stéphane Bourgeois en collaboration avec Jean-François Gravel et Catherine Tétreault

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