Photo de la chronique
Photo : Louise Leblanc

Replongez dans la controverse artistique et sociale générée par les mots du poète Claude Péloquin, gravés dans les murs du Grand Théâtre lors de sa construction.

Claude Péloquin, un poète marginal

Né à Montréal dans les années 40, Claude Péloquin (1942-2018) est l’un des artistes les plus respectés et acclamés des 50 dernières années, mais aussi l’un des poètes les plus marginaux du Québec, souvent qualifié de poète maudit par ses proches.

Poète, interprète, scénariste, réalisateur et auteur d’une trentaine d’ouvrages, on lui doit notamment les paroles de Lindberg, chantées par Robert Charlebois et Louise Forestier, certains textes de l’Osstidcho et une participation notable à la célèbre Nuit de la poésie, en 1970.

Quoiqu’il ait été assez discret vers la fin de sa vie, il n’a jamais craint de générer la controverse par ses écrits et ses propos.

Des mots qui sèment la controverse

Se déployant sur toute la hauteur des trois murs qui ceinturent la prestigieuse salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre, la murale de Jordi Bonet allie abstraction et figuration dans une immense composition où la souffrance, l’espoir et la combativité s’expriment avec force. La vision de Victor Prus, architecte du bâtiment de facture brutaliste, était d’intégrer totalement les arts plastiques à l'architecture et ce, pour l’une des premières fois dans l'histoire de l'art contemporain.

Claude Péloquin

Gravés dans cette célèbre fresque de Jordi Bonet, certains vers du poète Claude Péloquin feront couler beaucoup d’encre lors de l’inauguration de l’institution culturelle en janvier 1971, faisant ainsi ombrage à la murale de Bonet en elle-même. « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves! C’est assez! ». Cette inscription est un véritable poème en vers libres et non une phrase, comme on la qualifie souvent. Même si le ton semble interrogatif, la première ligne est bel et bien affirmative et illustre le constat révolté qui suit : l’Humanité n’est pas dégoûtée par ce scandale qu’est l’existence de la mort.

La passion se soulève

En effet, ces mots que Claude Péloquin intègre à la vaste murale de Jordi Bonet enflamment fortement les esprits. Roger Lemelin, auteur du roman Les Plouffe, est indigné par ce message qui lui semble odieux pour un lieu voué à la culture. Il souhaite le faire effacer et en appelle à la population jusqu’à recueillir une pétition de plus de 8 000 noms qu’il remettra au ministre des Affaires culturelles de l’époque.

En contrepartie, un Comité pour la défense de la murale du Grand Théâtre est créé par les protecteurs de l’œuvre dans son intégrité. Ceci n’engendrera rien de moins qu’un débat sur la liberté d’expression artistique qui allait attiser le Québec en entier.

Jordi Bonet, assumant complètement le poème de Claude Péloquin au sein de son œuvre, offrait cette réponse au tollé public lors d’une conférence de presse organisée par le Comité :

« Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves! C’est assez!, mots du poète Claude Péloquin, gravés dans les murs du Grand Théâtre, sont un cri d’amour lancé à la face du monde. […] Un peuple est d’abord libre, s’il est libre de s’exprimer. Et la liberté d’expression commence en la liberté d’employer les mots qui nous sont propres. »

Se sentant hautement interpellé par le débat, le sculpteur Armand Vaillancourt devient membre du Comité pour la défense de la murale du Grand Théâtre. Il se présentera à cette même conférence sur un cheval tout cuirassé, tenant fièrement un fanion avec l’inscription « Liberté » afin de se porter à la défense de l’œuvre et du texte polarisant du poète.

Au Québec. Au Vietnam. En Irlande du Nord. En Jordanie. En Amérique du Sud.
On est écœuré.
Et on va le dire.
On va le crier.
On va l’écrire partout.
Dans la rue. Sur les places publiques. Comme celle de ce Grand Théâtre.
Ce théâtre est neuf. Il est aujourd’hui.
Il a le droit de témoigner de nos cris, de nos rages et de nos amours.
Non seulement le droit, mais le devoir. C’est sa fonction.

- Armand Vaillancourt, extrait du manifeste Une nuit pour la liberté

Ultimement, les défenseurs de la liberté auront eu le dernier mot. L’œuvre originale de Jordi Bonet, commandée par le du Gouvernement du Québec, orne toujours fièrement les murs du Grand Théâtre aujourd’hui, 52 ans plus tard.

Armand Vaillancourt au Grand Théâtre en 1971
Jordi Bonet devant la murale
Jordi Bonet devant les mots "Liberté" inscrits dans sa murale


L’histoire du Grand Théâtre à votre portée

Les visiteurs du Grand Théâtre peuvent découvrir le magnifique triptyque de Bonet en profondeur et en réalité augmentée grâce à l’application JORDI. En s’arrêtant aux dix stations distinctes qui longent la murale, on peut ainsi en apprendre davantage sur le contexte dans lequel cette fresque a été réalisée ainsi que sur les origines et les influences de Bonet.

Ce pan de notre histoire ainsi que la situation politique, artistique et sociale qui a donné naissance au Grand Théâtre sont également au cœur du livre LE GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC ─ L’histoire vivante d’une scène d’exception.

Sous la direction de Louis Jolicœur et André Morency, et avec la participation de seize auteurs invités, cet ouvrage illustré témoigne de l’odyssée spectaculaire des cinquante ans d’activités de ce diffuseur pluridisciplinaire incontournable de la région.

Paru aux éditions du Septentrion en juin dernier, ce livre fascinant est toujours disponible en librairie, en ligne sur le site de l’éditeur et aux guichets du Grand Théâtre de Québec.

À consulter également, nos capsules sur la murale du Grand Théâtre :

Plus récentes chroniques