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Photo : Karine Husson

À la barre du Grand Théâtre de Québec depuis 2015, Gaétan Morency vient de voir son mandat de président-directeur général renouvelé pour un autre cinq ans. Une nouvelle qui le réjouit et qui lui permettra de poursuivre la mission qu’il s’est donnée : réaffirmer et renouveler le Grand Théâtre dans son rôle de catalyseur des arts de la scène à Québec, en misant sur la collaboration et la générosité.

En ces temps de pandémie, distanciation sociale oblige, Gaétan Morency a installé son bureau dans la discrète maison centenaire qu’il loue à l’île d’Orléans, face au fleuve. Dans cet écrin aux murs blancs, le soleil entre à flots par les grandes fenêtres, éclaboussant au passage la bibliothèque bien garnie et les œuvres d’art qui ornent les murs. Un décor simple, authentique et chaleureux, à l’image de son occupant.

« Je suis content que mon mandat se poursuive. Vraiment content. La retraite, c’est un concept abstrait pour moi. Je fais ce qui me passionne depuis toujours, alors pourquoi arrêter? ». Faire ce qu’il aime, c’est un conseil que ses parents lui ont donné il y a longtemps. Tout comme la conviction que le bonheur puise sa source dans l’engagement. « Mon père et ma mère étaient travailleurs sociaux. Toute leur vie, ils se sont engagés dans les causes auxquelles ils croyaient. Mon père est décédé l’an dernier à l’âge de 94 ans et nos discussions étaient encore une source d’inspiration ».

40 ANS D’ENGAGEMENT POUR LA CULTURE

Né à Montréal, Gaétan Morency opte pour des études en management à l’École des hautes études commerciales (maintenant HEC Montréal). Mais malgré les offres alléchantes, il réalise vite qu’il ne veut pas travailler dans le monde des affaires et s’oriente plutôt vers le domaine culturel. « J’y voyais les mêmes valeurs que dans le milieu social, mais avec plus d’espoir, de beauté et d’énergie positive. À l’époque, on me disait que c’était un choix loufoque, que je serais payé en tickets de spectacles… Il faut admettre qu’il y a 40 ans, il n’y avait pas grand monde qui gagnait bien sa vie dans le show-business québécois », lance-t-il en riant.

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Photo : Karine Husson

Après quelques années à la SODIC (devenue la SODEC), on lui confie la direction générale de l’ADISQ. Son mandat : redresser les finances, mais aussi «professionnaliser » les activités de l’association et structurer le processus d’attribution des prix Félix, lequel deviendra ainsi beaucoup plus rigoureux et transparent. Cinq ans plus tard, l’homme a fait le tour du jardin et annonce son départ, plusieurs mois à l’avance, sans savoir quelle sera la suite. Daniel Gauthier, alors membre du conseil d’administration de l’ADISQ, saisit la balle au bond. « Il m’a dit : Gaétan, je ne sais pas ce que tu ferais au Cirque du Soleil, mais je te vois bien au Cirque du Soleil. Et je lui ai répondu : Tu sais quoi Daniel? Je ne sais pas ce que je ferais au Cirque du Soleil, mais je m’y vois bien aussi! ».

On est alors en 1992 et c’est le début d’une collaboration qui va durer 20 ans. À l’époque, le Cirque compte 300 employés et présente un seul spectacle en tournée. Aucun cadre ne possède de formation, ils proviennent tous du terrain. Gaétan Morency a donc l’idée de monter un programme de formation sur mesure, en s’inspirant du rôle du metteur en scène qui guide les artistes. Observation, expérimentation, échanges, rétroactions directes… Le programme est monté en collaboration avec Laurent Lapierre, professeur aux HEC. « L’idée était d’améliorer les rapports dans le respect de la création. Et ça a fonctionné! ».

En parallèle, Guy Laliberté et Daniel Gauthier, cofondateurs du Cirque, décident de redonner 1 % des revenus bruts de l’entreprise à la communauté. « Certaines années, ça représentait 40 % des profits. Je leur ai dit OK, mais il faut déterminer une cible claire, sinon on va être submergés. Le choix était évident : aider les jeunes de la rue. C’était un match naturel. Le cirque, ce n’est pas un environnement institutionnel, il y a le jeu, le goût du risque. On ne disait pas aux jeunes d’arrêter de prendre de la drogue, mais vouloir marcher sur un fil, ça peut t’inciter à changer tes habitudes de vie… ». Dans chaque communauté où le Cirque passe en tournée, l’équipe de Gaétan Morency prend contact avec les organismes de rue pour savoir comment être utile, que ce soit en donnant des ateliers, en installant un réseau d’eau potable ou en construisant des toilettes. Un programme de cirque social est aussi mis sur pied, permettant d’outiller plus de 3 000 formateurs-intervenants qui amènent l’art du cirque — et l’espoir qu’il suscite — dans la rue. Le matériel pédagogique, traduit en cinq langues, est rendu disponible gratuitement à travers le monde. « Le Cirque m’a donné l’occasion de faire une différence dans la vie des gens. Dans le fond, j’ai été un travailleur social avec des moyens… ».

Mais ce dont l’homme est le plus fier, c’est de la création de la TOHU, un lieu de diffusion, de création, d’expérimentation et de convergence entre culture, environnement et engagement communautaire, situé au cœur de la Cité des arts du cirque, dans le quartier Saint-Michel à Montréal. « La richesse du Cirque du Soleil devait servir à faire progresser le milieu québécois. On me disait que j’allais développer de la concurrence, mais je répondais que non, au contraire : je cultivais des ressources! On a consulté le milieu pour savoir ce dont il avait vraiment besoin, on a beaucoup échangé et ça a porté fruit. Avant, il y avait deux ou trois compagnies de cirque au Québec. On en compte maintenant plus de 80! ».

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Photo : Karine Husson
Photo : Karine Husson

J’AURAIS VOULU ÊTRE ARCHITECTE

Dans ses temps libres, Gaétan Morency dessine des plans de maison. À la main, en soignant les détails. Puis il les range dans un grand portfolio. À ce jour, aucune de ses créations n’est passée du papier au mortier.

« Quand j’étais au cégep, je voulais devenir architecte. J’adorais les maths et la physique, mais j’étais moins doué en chimie et en biologie. Résultat : ma moyenne n’était pas assez élevée pour être admis en architecture. Avec du recul, je me rends compte que c’est encore mieux d’être le client de l’architecte que l’architecte lui-même, car celui-ci doit jongler avec une infinité de contraintes ». Après avoir été responsable de la construction du siège social du Cirque du Soleil, puis de la TOHU, Gaétan Morency a eu un autre beau projet architectural à se mettre sous la dent à son arrivée au Grand Théâtre : la construction de l’écrin de verre destiné à sauvegarder les façades de l’édifice, dont le béton se dégradait depuis plusieurs années. Ce chantier majeur a nécessité des solutions techniques inédites, puisqu’il fallait protéger la structure tout en respectant l’œuvre originale. Le dialogue qui en résulte, entre verre et béton, est saisissant.

Le PDG s’est aussi donné pour mission de « réhumaniser » le Grand Théâtre et de l’ouvrir sur sa communauté. Depuis son arrivée, la cour du Conservatoire de musique, située du côté ouest du bâtiment, accueille ainsi un potager urbain dont les avantages sont multiples : verdir l’espace, lutter contre les îlots de chaleur et offrir aux habitants du quartier une occasion de jardiner. L’an dernier, ce projet communautaire a permis la production de 250 kg de légumes frais, distribués à des familles défavorisées de la région. Quant aux ruches qui abritent les abeilles fabriquant le miel du Grand Théâtre, elles retrouveront cet été leur résidence officielle après avoir été relogées au Musée national des beaux-arts du Québec pendant la construction de l’enveloppe de verre.

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Photo : Karine Husson
Photo : Karine Husson

Parmi les autres projets dont Gaétan Morency est fier, il y a Le Studio. Ce nouvel espace, plus petit que les salles Louis-Fréchette et Octave-Crémazie, a été inauguré l’automne dernier. On y trouve également un restaurant et un bar. « C’est une tribune de qualité pour les artistes émergents qui profiteront d’une grande proximité avec le public. L’équipement est à la fine pointe de la technologie et grâce à la configuration modulable, on peut présenter une grande variété d’activités, du lancement de disque aux conférences en passant par des soirées thématiques. C’est aussi un lieu de rencontre entre créateurs des arts de la scène et des arts numériques, de même qu’un laboratoire idéal pour les concepteurs qui veulent expérimenter leurs propositions artistiques avant de les déployer en salle ».

Quand les mesures de distanciation physique se seront estompées, le PDG souhaite connecter davantage le Grand Théâtre avec les gens du quartier. « Organiser des fêtes populaires, s’ouvrir sur notre milieu, créer un dialogue avec les jeunes : c’est comme ça qu’on va assurer la pérennité du Grand Théâtre! », affirme-t-il. En ce début d’été, assis sur sa terrasse, les cheveux décoiffés par le vent et un verre de rosé à la main, Gaétan Morency a le regard qui porte loin, très loin. Plus loin que le 50e anniversaire que l’établissement célébrera en 2021. Et plus loin que le centre-ville de Québec qui se dessine à l’horizon, à travers les branches des chênes majestueux qui bordent la maison.

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