Le métier de chef machiniste
Dans le cadre de notre série sur les artisans de la scène, nous plongeons aujourd’hui dans l’univers de Jean Pelletier et Jean-Nicolas Soucy, chefs machinistes au Grand Théâtre de Québec. Leur première tâche : simplifier le travail de tout le monde, techniciens comme artistes.
Jean Pelletier avait 16 ans quand il a foulé les planches du Grand Théâtre pour la première fois. « Jean-Claude Lévesque (alors chef électrique de la salle Louis-Fréchette) est venu me chercher à la porte. Je suis ressorti quatre jours plus tard. Le temps était serré : on devait démonter les décors et l’équipement d’un spectacle, puis monter un spectacle de la Comédie-française pendant la nuit, faire les répétitions, donner le spectacle et redémonter tout ça. J’ai dormi dans un coin de la scène, par petits bouts… ».
Aujourd’hui chef machiniste de la salle Louis-Fréchette, Jean Pelletier aime toujours autant son métier, même si celui-ci est très exigeant. « Les jours de spectacles, on a les deux pieds soudés dans la bâtisse, car les chefs machinistes sont responsables de toutes les équipes techniques », précise-t-il. « Il faut bien coordonner le travail et avoir une vision périphérique », ajoute Jean-Nicolas Soucy, qui occupe le même poste, mais pour la salle Octave-Crémazie. Formé à l’Institut des Techniques de Scène du Québec au Cégep de Ste-Foy en 1989-90, ce dernier fait partie de l’équipe technique du Grand Théâtre depuis juillet 2001 et agit comme chef machiniste depuis mars 2015.
Le terme machiniste vient de l’époque où l’équipement de scène était entièrement mécanique. Au 18e siècle par exemple, les coulisses étaient remplies de poulies et d’engrenage. « Jusqu’au milieu des années 80, on vissait les vis à la main, au tournevis, se rappelle Jean Pelletier. Puis il y a eu les perceuses électriques, les perceuses sans fil… » Si le matériel s’est beaucoup modernisé — ce qui facilite l’installation et le démontage des décors, du matériel de scène et des équipements d’éclairage, de sonorisation, de projection ou de captation —, c’est souvent dans la simplicité que réside la solution aux problèmes. Jean-Nicolas Soucy se souvient d’une représentation de La Tempête de Shakespeare, où le ténor devait apparaître sur scène en passant par une trappe de souffleur. « Les concepteurs ont essayé plusieurs choses, puis, à bout d’idées, ils se sont tournés vers moi et m’ont demandé si j’avais une solution à proposer. Je me suis simplement placé derrière le chanteur, sous la scène, et je l’ai poussé… », se rappelle-t-il en souriant. Ni vu ni connu pour les spectateurs !
Ce métier demande donc d’être débrouillard et ingénieux. Par exemple, Jean Pelletier a déniché des ancrages de voile chez un équipementier maritime pour retenir les danseuses du Vaisseau fantôme — cet opéra à grand déploiement coproduit par l’Opéra de Québec et le Metropolitan Opera —, car le système magnétique prévu à l’origine par les concepteurs new-yorkais ne fonctionnait pas.
« On est responsable de la sécurité de toute l’équipe, incluant les artistes. Avant, ça se faisait à la bonne franquette, se souvient Jean Pelletier. Mais il y a eu des accidents et des blessures… » Jean-Nicolas Soucy renchérit : « Le meilleur conseil qu’on m’a donné, c’est de faire ce que le client demande… jusqu’à ce que la sécurité entre en jeu. Là-dessus, on ne fait pas de compromis ».
Les deux hommes s’accordent pour dire que leur métier est stressant — il n’y a pas de deuxième prise dans un concert, au théâtre ou à l’opéra — mais qu’il offre aussi des défis techniques très stimulants. Leurs plus grandes récompenses, ce sont les applaudissements du public et le sourire des artistes.
« Mon but ultime, c’est que l’artiste puisse livrer sa meilleure performance, dit Jean-Nicolas Soucy. S’il est heureux, il va donner un bon show. On a ce qu’il faut pour assurer ça, en termes de compétences techniques, mais aussi d’équipements. Pour les artistes, le Grand Théâtre, c’est comme un gros plat de bonbons! ».
« Quand Boucar Diouf ou Fred Pellerin viennent te remercier après le spectacle, ça fait chaud au cœur. On se sent à notre place », ajoute Jean Pelletier. Du même souffle, il avoue être déçu de prendre sa retraite en pleine pandémie, sans avoir pu collaborer, entre autres, à un dernier spectacle de Robert Charlebois. Mais il est heureux d’avoir fait carrière au Grand Théâtre. « Je me sens bien ici, l’équipe est vraiment compétente et il y a un profond respect entre les gens. On est choyés ».
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