50 ans en symboles
La murale de Jordi Bonet; 50 ans à émerveiller, à intriguer et à se dévoiler.
La murale de Jordi Bonet a été conçue comme une fresque ancienne, avec différentes sections, différents niveaux de langage et différents symboles dissimulés dans un chaos organisé par l’artiste. Au cours des dernières années dans le contexte du projet de création d’une application mobile mettant en valeur la murale, plusieurs personnes ont porté un nouveau regard sur l’œuvre et ont découvert des aspects peu remarqués ou documentés auparavant. Les fruits des recherches ont confirmé la richesse et la pertinence de l’œuvre encore aujourd’hui.
Ces observations et recherches ont permis de documenter et de faire quelques découvertes aux sens très riches. Dans cette chronique, nous allons porter le regard sur des détails particuliers de l’œuvre et tenter de comprendre l’intention de l’artiste.
On doit débuter par l’autoreprésentation de l’artiste dans son œuvre. En examinant bien la murale, nous en retrouvons au moins deux. Il y a d’abord une poupée au bras droit arraché, placée à l’extrémité droite du mur nord. La référence est très limpide puisque l’on sait que Jordi Bonet avait perdu son bras droit à l’âge de neuf à la suite d’un accident.
Il y a une seconde représentation complète de lui-même tenant une truelle à la main, comme s’il était toujours là, à continuer son œuvre. L’une des hypothèses de cette représentation est que Jordi Bonet voulait rester en permanence dans ce projet qu'il aimait tant, soit rester vivant dans l'œuvre. On peut y voir aussi une cohérence avec son discours sur son mouvement artistique Le Pararéalisme. « En tant que forme d'art, le pararéalisme se singularise par le fond et peut être tributaire de tout style [...] le style importe peu, seule compte la manifestation de la présence primordiale du vivant. »
L’œil
Dans son œuvre, Jordi Bonet a intégré le symbole de l’œil sous différentes formes : œil de la Providence, œil de verre et œil géant. Ce symbole est d’ailleurs celui que l’on retrouve le plus souvent dans la murale.
L’œil de la Providence
Dès le début de la fresque, complètement en haut à gauche et visible seulement en se déplaçant aux niveaux supérieurs par les escaliers, on découvre un premier symbole fort de sens. Il s’agit d’un œil au centre d’une pyramide. Cette illustration est appelée L’œil de la Providence par certains et est associée fortement aux Francs-Maçons. S’agit-il d’une appartenance au mouvement ou d’un simple clin d’œil? On ne le sait pas, mais le geste est fort et l’œil domine donc l’ensemble de l’œuvre.
L’œil de verre
Plusieurs paires d’yeux sont également insérées dans le béton. Il s’agit de yeux de verre à dimension humaine, probablement des articles de taxidermie. L’artiste voulait que le visiteur se fasse surprendre par ces yeux subtils répartis principalement sur le mur nord.
L’œil géant
Plusieurs yeux de grandes dimensions sont gravés en relief et se retrouvent toujours seuls, jamais en paires. Le plus étrange parmi ceux-ci est celui avec un visage d’enfant au centre, à la place de la pupille. Cette présence étrange interpelle le visiteur, particulièrement à partir du premier niveau de passerelle.
La croix gammée
Sur le mur sud de la fresque, on aperçoit un immense poing fermé qui semble prêt à frapper. Dans l’avant-bras de cette main, on découvre un personnage le bras levé et ayant une croix gammée sur le crâne. L’ensemble de la composition ne laisse pas de doutes sur son sens, l’artiste ayant connu l’invasion des Allemands lors de la guerre espagnole (1936-1939). On y voit facilement un soldat faisant le salut fasciste. Le geste de Bonet est à la fois fort et subtil; il inscrit presqu’au centre de la fresque une minuscule croix gammée qui lui sert de repère biographique et de dénonciation perpétuelle. C’est la lourdeur de l’oppression du pouvoir sur la société qu’il veut illustrer, et dénoncer. Le texte du journal La Presse, reproduit un peu plus bas dans ce même mur, va en ce sens en soulignant des inégalités devant la justice.
Les glaives et le combat corps à corps
Au centre du mur nord, une scène intéressante se trouve juste à côté des fameux mots de Claude Péloquin qui ont fait couler beaucoup d’encre. On y a d’abord vu un personnage les bras en croix, tenant des armes, mais la complexité du dessin suggère un peu plus. En fait, il y a deux personnages tenant chacun une arme, soit un glaive. Dessinée de façon un peu cubiste, on peut y voir une scène de combat, un corps à corps à l’arme blanche.
Qu’est-ce que l’artiste a voulu représenter avec cette scène? Peut-être que ce combat est celui profondément inutile de l’homme avec lui-même. Peut-être que ce combat à armes blanches, à l’issue mortelle, est l’illustration des mots de Claude Péloquin : « Vous êtes pas écœurés de mourir bandes de caves! C’est assez! »?
L’ange
On ne peut passer devant l’ange sans se questionner sur sa présence. Personnage énigmatique du grand mur est, sa position rend difficile l’interprétation de son rôle dans la composition.
Est-il en chute libre? Rien autour de lui ne suggère de mouvement.
Est-il en mouvement avec les corps vides à proximité, dans son rôle bienveillant et protecteur?
Est-il le symbole d’une transformation du groupe de personnages qui semblent à la fois flotter et monter lentement? L’artiste n’a pas laissé d’explications sur ce geste. Mais si on suggère le rôle fondamental de l’ange, il est un messager; l’ange serait donc en communication avec les âmes qui flottent devant lui. Peut-être qu’il les prépare à une prochaine existence? L’artiste a réussi quelque chose de fort avec l’insertion de cette statue, présence discrète et forte à la fois, et qui a un impact sur le reste de la composition.
La murale renferme une foule de symboles intégrés volontairement par l’artiste. Même si leur interprétation n’est pas toujours explicite, ils sont notables notamment par les moments de l’histoire ou de la vie personnelle de Bonet auxquels ils font référence. La force de cette œuvre réside aussi dans la lecture bien personnelle que chaque visiteur peut en faire, d’où la beauté de l’art!
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